Le kabbaliste de Prague
cœurs.
Mais douze années d’études n’étaient rien. Je le savais, et
mon rabbi le savait aussi. Voir s’ouvrir les portes de la sagesse, c’est voir
le seuil où la lumière cède devant l’ombre. Et savoir combien on est ignorant
est déjà un grand savoir.
2
Avant de monter vers Dieu, le Rema m’avait dit :
— David, tu me pleureras puis tu iras t’incliner devant
rabbi Lœw dans sa yeshiva, à Posen.
— Posera-t-il seulement les yeux sur moi ?
— Il les posera. Comme il les pose sur toute chose et
tout être de ce monde : en grondant. Rabbi Lœw, le lion bien nommé !
Il secouera sa crinière pour t’impressionner, mais il posera les yeux sur toi.
Tu verras. J’écrirai une lettre que tu lui donneras.
Dans les années passées, rabbi Lœw s’était opposé au Rema
sur nombre de sujets. Il l’avait fait sans douceur. Le Rema lui avait toujours
répondu avec délicatesse et souplesse d’esprit. Je lui rappelai cette
opposition. Elle ne serait pas de bon augure pour me faire accepter dans la
yeshiva de rabbi Lœw.
Le Rema me répondit :
— Rabbi Lœw s’est opposé à moi, mais pas moi à lui. Tu
sais ce que je pense de ces disputes, elles sont bonnes et nécessaires. L’unité
est le fruit de la contrariété. Rabbi Lœw te questionnera, te jaugera, et il
saura qui tu es. Ne te trompe pas, David, tu auras devant toi la Couronne des
Sages. Nul ne sait mieux se diriger dans les obscurités de la science des
astres comme dans la richesse étincelante de nos traditions. Aucun n’approche
le cœur du savoir autant que lui. Il peut comprendre et commenter ce que nul
autre ne comprend : ses explications sont comme des oranges parfaites dans
une corbeille d’argent. Ton chemin ne va pas ailleurs que dans ses pas.
Le Rema connaissait la puissance de ses mots. Son éloge de
rabbi Lœw brûlait celui qui l’entendait.
Aussi les choses se passèrent-elles à peu près comme il
l’avait prédit.
Il monta vers Dieu au printemps. Je le pleurai mais demeurai
à Cracovie. Irrésolu. Hésitant non sur mon chemin mais sur mon courage à
affronter le regard de rabbi Lœw. Puis la nouvelle me parvint que l’assemblée
des sages de Bohême nommait MaHaRaL Haut Rabbi de Prague et de Posen. Et qu’à
Prague on lui ouvrait une école. Un klaus où il pourrait transmettre
l’énormité de son savoir et appliquer sa méthode bien particulière
d’enseignement aux meilleurs d’entre nous.
Prague, le joyau de l’Europe, la Jérusalem des temps
nouveaux !
Prague m’insuffla le courage qui me manquait. Après une
longue année d’indécision, je me présentai à l’entrée de ce nouveau klaus. Je
n’étais pas le premier. Nombreux furent ceux qui se considéraient dignes de
l’enseignement du MaHaRaL.
Comme une volée d’étourneaux, ces têtes bien faites étaient
déjà accourues, des quatre horizons de l’Europe, dans la ruelle qui séparait le
klaus du cimetière. Une maison simple, blanche et basse, sans étage, abritant
quatre salles d’étude et une pièce étroite où le Maître trouvait le calme pour
ses propres réflexions, ses écrits et parfois ses entretiens.
Et moi, étais-je l’une de ces têtes bien faites ?
Possédais-je la science, la sagesse requises ? Ah ! j’avais eu raison
de craindre ce moment. L’épreuve de ces jours ne s’est jamais effacée de ma
mémoire.
Tôt le matin, je suis entré timidement dans le vestibule du
klaus. Je me suis annoncé. J’ai dit d’où je venais et pourquoi. On me fit signe
d’attendre.
L’attente dura jusqu’au soir sans que quiconque manifestât
de l’intérêt pour ma présence. Je doutais même que ma demande fût parvenue au
Maître. Le lendemain matin, je revins et m’installai près de l’entrée, équipé
d’un peu de lecture pour endurer une nouvelle attente.
Sans doute fut-ce la première fois que je vis Isaac, car il
m’a raconté plus tard, en riant fort, qu’il était passé plusieurs fois près de
moi à la demande du Maître. La vérité est que je n’en ai aucun souvenir.
Cependant je me rappelle que le soir, à l’heure de la prière, nul ne m’avait
adressé la parole plus que la veille et que je n’avais pas même aperçu la
silhouette du Maître. Y compris à la synagogue.
Plus tard, j’appris que le MaHaRaL se rendait rarement à la
grande synagogue. Il préférait une pièce de la modeste maison qui jouxtait la
yeshiva, un shtibl qu’il pouvait joindre sans passer par la rue
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