Le lever du soleil

Louis de Rochechouart, marquis de Mortemart.
    Comme Louis aimait son petit frère Philippe, qui avait rejoint sa compagnie depuis sa guérison, Vivonne aimait sa petite súur, Françoise Amenais, qui tenait à peine sur ses jambes, une enfant brune de deux ans.
    Louis, de qui sa mère exigeait déjà la plus extrême courtoisie, s'enquérait chaque jour auprès de Vivonne, qui égalait Brienne dans ses préférences, des nouvelles de la fillette.
    Vivonne dit au fringant Dauphin mousquetaire :
    - que ne l'épousez-vous ? Nous serions beaux-frères, nous ferions la guerre ensemble.
    - Je le veux bien, répondit le Dauphin.
    Vivonne rit de plus belle.
    - Je ne veux pas qu'on rie, ordonna Louis et il tapa du pied.
    Même un prince ne peut rien contre le destin et taper du pied sur un parquet de palais n'arrête pas le temps. Françoise Athénais de Rochechouart, súur de son cher Vivonne, épousera dans quelques années le marquis de Montespan... Et si Louis ne l'épou-sera pas, Vivonne aura des neveux qui seront tous ducs et pairs, princes du sang et b‚tards.
    Au début de février, le Roi souffrait. Seule la chasse le pouvait délasser, les potions de Bouvard le faisaient vomir, il décida de se soigner par le grand air. Et dans son lieu préféré, son ch‚teau de cartes, son pigeonnier battu par les vents de Versailles.
    Il y pria un soir M. Mazarin à souper, énorme marque d'estime, insigne honneur qui stupéfia la Cour. Il ajouta à la liste des convives Gaston et Chavigny. Deux cardinalistes impénitents, un frère traître repenti ! On s'en plaignit devant la Reine et le Dauphin.
    Elle répondit :
    - Le Roi règne et gouverne. Il prend modèle sur mon frère Philippe IV (elle dit Felipe) qui vient d'éloigner Olivarès...
    Plus d'Olivarès, plus de Richelieu, la paix pouvait pointer son nez en l'absence des forcenés de la guerre.
    Mazarin charme le Roi. A l'opposé de l'austère et cassant Richelieu, ce cardinal-là est souple, disert, plaisant.
    A ce souper de Versailles, entre Chavigny et Gaston, on parle donc d'Olivarès (en effet la Reine aussi a ses espions qu'elle n'a pas débauchés, elle se méfie encore), également de Charles Ier d'Angleterre, qui n'en peut mais de la rébellion que lui fait son parlement et s'est réfugié à Oxford. Mazarin connaît les affaires, il amène le Roi à envisager d'envoyer des émissaires à Cromwell, car on ne sait jamais...
    Louis ne serait pas mécontent de laisser tomber le roi Charles son beau-frère, tout en donnant refuge au prince de Galles qui va sur ses douze ans.
    Louis roi dit de plus en plus souvent " j'ai décidé ", " je ferai "... ce qui vaut tous les onguents du sieur Bouvard. Mazarin laisse dire et agit.
    Mars cloue le Roi au lit.
    Il ne peut se lever alors qu'il rêve d'aller commander l'armée de Picardie, pour un dernier combat avant la paix, pour une dernière victoire. L'armée est aux ordres de Gassion le terrible, celui-là qui reprit Hesdin et ravagea la Normandie.
    Et l'armée de Flandres ? Sur les conseils de Mazarin, le Roi la confie à un Condé ; en signe de paix avec les princes. Il la donne au jeune duc d'Enghien, vingt ans, qui a fait tomber Perpignan l'été dernier.
    Il vomit de plus en plus. Il rejette désormais tout remède de Bouvard qui lui tord les boyaux. Avale deux cuillerées de bouillon de poule, six fois par jour.
    Il sait.
    Et déménage : il installe ses appartements hors du Ch‚teau Neuf et choisit l'aile du septentrion au Ch‚teau Vieux. De son lit, voit les flèches de la basilique de Saint-Denis, son prochain domicile pour l'éternité.
    Dans l'aile du midi, logent ses deux fils.
    Il est venu pour eux.
    Il les gave de cadeaux comme jamais.
    Ce samedi, ses enfants le visitent. Il offre à Philippe des chiens de verre soufflés à Nevers, industrie o˘ Mazarin a des intérêts.
    Et au Dauphin un cabinet d'Allemagne en marqueterie rehaussée d'opale, d'argent et de turquoise, et doté, pour son compartiment à secrets, d'un cadenas à chiffre.
    - Regardez, Louis, il faut choisir quatre lettres et les mettre les unes en face des autres, et le secret s'ouvre. Choisissez, Louis, et chuchotez-les à mon oreille, que nul ne les entende. Seuls les Rois savent garder les secrets.
    Louis Dieudonné fronce les sourcils, prend cet air de gravité
    qui enchante tant ses femmes et sa mère. Il approche du lit du Roi, grimpe en s'aidant d'un tabouret, s'accroche aux oreillers et murmure :
    - S.I.R.E.
    - Bien trouvé, dit le Roi