Le lever du soleil
ravi.
Une quinte de toux le saisit, il vomit sur ses draps, perd haleine.
Son fils lui essuie la bouche. Louis Dieudonné n'a plus peur de son père. Ce n'est plus le démon nocturne à bonnet crochu, c'est un homme à la voix douce, un peu éteinte même quand il rit, car il rit. Avec des petits poils blancs dans sa barbe en flèche sous la lèvre inférieure, la " boudeuse " qui ne boude plus. Le Dauphin s'enhardit jusqu'à tirer ces fils d'argent de la " royale ". Le Roi le laisse faire.
- Je tirais aussi la barbe du feu roi Henri, mon père. Mais elle était plus fournie.
Louis et Louis ont fait connaissance. Il était temps.
C'est un printemps qui naît dans le long hiver d'une famille royale. La Reine, qui visite son mari chaque jour, lui propose de s'installer dans la salle de bal, au premier étage, là o˘ le soleil entre le plus volontiers.
On y transporte le malade. La salle est immense, on y voit le val de Seine, on y voit au loin Paris, les enfants peuvent jouer pendant que mari et femme se parlent. Chahutent-ils que Roi et Reine interdisent qu'on les gronde.
Souvent la Reine tient la main de son mari, qui lui chuchote des mots que le Dauphin voudrait entendre.
Ils ne se taisent que pour l'écouter réciter ses leçons, des pro-verbes, dix mots d'italien, un peu de latin, une nouvelle prière.
- Celle-ci est fort belle, dit le Roi. Elle doit toucher Dieu au cúur...
- Madame ma mère m'a demandé de la Lui dédier pour votre guérison.
Une larme pointe à l'úil rougi, terni d'un Roi allongé. La Reine détourne la tête par pudeur mais presse la main sèche.
Et le Roi se remet avant P‚ques. Il marche. Lentement, parfois aidé de deux valets et suivi de Dubois qui porte un fauteuil car le Roi doit s'asseoir tous les vingt pas.
Devant la Reine et devant le Dauphin qu'il a appelés, il dit un matin d'avril :
- Savez-vous, mon fils, ce qu'est le roi de France ?
- Le lieutenant de Dieu sur terre, Sire.
- C'est bien. Et savez-vous ce que ce lieutenant a pour charge le Jeudi saint ?
Louis regarde sa mère, son père, se creuse la tête, avec ce sérieux si plaisant.
- Je l'ignore, pardonnez-moi.
- Le Roi fait revivre la dernière Cène. Demain nous recevrons douze pauvres, comme les douze apôtres, et vous m'imiterez, il faut apprendre ce métier.
Douze vrais pauvres de Paris, amenés au Ch‚teau Vieux sur une charrette, sont installés dans une salle du premier. Le Roi, accompagné du seul Dauphin et de Dubois, se penche, lave les pieds de chacun, en baise les orteils, puis leur offre à manger. Le Roi les sert lui-même, aidé par le Dauphin.
Les invités n'osent manger. Le Roi les y encourage. Sa voix éteinte chuchote à peine. Le Dauphin sert à boire. Et lève lui-même un verre de bourgogne coupé d'eau :
- Au Christ et au Roi !
Les pauvres portent la tostée et boivent et mangent enfin.
Le Roi sort.
Dubois l'assied dans son fauteuil et, suivi du Dauphin, Louis XILI regagne sa chambre, porté par quatre laquais.
Il demande qu'on lui lise le chapitre XVIL de saint Jean, la méditation du Christ sur la mort. Et demande que le Dauphin l'écoute.
Louis Dieudonné a pleuré. Louis XILI le remarque sur la joue rebondie de l'enfant.
- J'ai eu tort, Madame, il est trop jeune pour écouter ces choses. Il n'est pas bon que je reste ici, si près de Philippe et de Louis. Je vois bien qu'il faut mourir, mais ne pas infliger ce spectacle aux enfants.
- Sire, dit Anne. Prenez mes appartements au Ch‚teau Neuf.
Ils sont les plus clairs et les mieux meublés. Je logerai près des enfants.
Dans les appartements du Roi, les pluies terribles de l'hiver ont g‚té un mur qui menace de crouler et qu'on ressable et rechaule depuis les premiers soleils.
- Merci, mon amie. Je le veux bien.
C'est Anne qui refoule une larme.
Bouvard entre suivi de Dubois portant une cruche de petit-lait, dernière panacée prescrite pour les maux du Roi.
Sur son lit, Louis se redresse :
- Marauds, sortez d'ici. Ce n'est pas la bile que je vomis après vos poisons, c'est vous !
Bouvard s'enfuit. Le Roi tourne son visage vers la Reine.
- Faites demander l'évêque de Meaux. J'aurais à confesser...
et qu'il apporte les sacrements.
- Sire !
- Ne protestez pas. Je vois mes forces décliner de manière fatale. J'ai demandé à Dieu cette nuit d'abréger la sinistre longueur de ma maladie. qu'on m'ouvre les fenêtres.
Il se rappelle que ce fut aussi une des dernières volontés du Cardinal. " Comme c'est
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