Le lever du soleil
de La Porte, elle n'ignorait pas que La Poterie et Laffémas l'avaient sérieusement interrogé les 13, 15 et 18 ao˚t, et que si on ne le harcelait plus, le but pouvait en être de l'amollir et de le rendre moins résistant à la prochaine entrevue.
Planait toujours aussi la menace qu'on lui administr‚t la question.
Il convenait donc que La Porte s˚t ce qu'il pouvait avouer et ce qu'il devait taire. C'est Marie de Hautefort, fidèle amie, et moqueuse de roi chastement énamouré, qui inventa alors le stratagème.
A la Bastille logeait François de Rochechouart, chevalier des Jars, écuyer de la Reine, chassé par Richelieu pour avoir participé
à l'intrigue amoureuse avec Buckingham et à une autre affaire plus grave. Exilé en Angleterre, de retour en 1632, il s'était compromis avec le marquis de Chateauneuf, garde des Sceaux, en 1633. Celui-ci livrait à la duchesse de Chevreuse, dont il était fou amoureux, les secrets du Conseil des ministres. Chevreuse les livrait à la Reine qui en bavardait par lettre avec ses frères espagnols. Cela peut se nommer de la haute trahison.
Il ne s'agissait pas moins non plus que de remplacer Richelieu, qu'on savait malade et que Chevreuse surnommait avec poésie
" cul pourri ", à cause des ravages de ses hémorroÔdes. Or Chateauneuf était un bon ministre et pouvait prendre la place.
La répression fut féroce. Le trou dans le mur de Pierre La Porte fut utile à cacher certaines épîtres.
Bref, des Jars à la Bastille, La Porte à la Bastille, l'un et l'autre amis par le service de la Reine, Marie de Hautefort, non encore exilée mais cela ne tarderait pas, eut une idée. Par sa naissance, des Jars avait droit à des visites. Dont principalement celles de la marquise de Villarceaux, sa plus qu'amie, et, bien s˚r, du clan de la Reine. Elle le rencontre aux grilles du corps de garde. Lui fait quelques présents, même d'argent pour améliorer son ordinaire et rafraîchir ses dentelles. Elle lui passe des missives en forme de billets doux. La garde s'habitue à cet échange de poulets. Donc Marie de Hautefort suggère qu'on utilise cette tolérance en passant non une lettre affectueuse de la marquise à des Jars mais, via des Jars, les recommandations de la Reine à La Porte. Au chevalier de se débrouiller puisqu'il est dans la place.
- Marquise, il n'en est pas question, Chateauneuf a failli me co˚ter la tête !
- Chevalier ; il n'en co˚tera rien.
- Non, c'est non. De plus La Porte loge quatre étages en dessous de moi.
Alors la suivante de Mme de Villarceau s'approcha de la grille, leva son fichu, la blondeur resplendit, le chevalier reconnut Mme de Hautefort. Elle montra un sceau imprimé dans la cire rouge d'un pli. Celui de la Reine.
- Ah madame ! est-ce vous ? Il faudra donc obéir à ce que commande la Reine.
Hautefort sourit. Il est des sourires irrésistibles aux prisonniers.
- Il n'est donc point de remède quand on est atteint de la maladie du complot. Voilà qu'il faut que je m'y remette.
Des Jars s'y remet avec une belle application.
Il bavarde avec Bois d'Arcy, maître d'hôtel de Bassompierre, ils baguenaudent sur la terrasse, des Jars joue avec une bague, tendre gage, que lui a donnée sa marquise, la laisse tomber, elle roule près du gros canon ; Bois d'Arcy la ramasse pour des Jars et remarque, en se penchant, une dalle disjointe et rompue à un coin. Le garde est de l'autre côté de la terrasse. Les compères soulèvent la pierre et entendent venir d'en dessous les voix de croquants parlant la langue d'oc ; des protestants enfermés pour sédition. On parlemente, on chuchote, on négocie, on paie. Avec la bague.
Les croquants creusent le plafond, puis leur plancher, et parle-mentent à leur tour avec le prisonnier d'en dessous, le baron de Tenance. A son tour il perce le plancher, camouflant le trou en portant sa table par-dessus.
Ainsi, par le passe-plat de M. des Jars, la lettre parvient à La Porte. Et, depuis ce jour, le chevalier des Jars distribue le courrier.
Bassompierre adore cette histoire et tire gloire que par le truchement de son maître d'hôtel, l'aimable Bois d'Arcy, il participe à
cette muscade qui trompe toute la garde et cet excellent M. du Tremblay qui le traite en prince du sang.
- Des Jars a-t-il encore hurlé cette nuit ?
- Non, monsieur le Maréchal, le chevalier a sommeillé paisiblement, m'a écrit son voisin le baron de Tenance, répond La Porte.
Le chevalier des Jars, bel homme, grand gaillard,
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