Le lever du soleil
d'enfant, sonnait plus clair, comme un carillon.
Et le pas des chevaux semblait un sec roulement de tambour sur une peau trop tendue.
Le gros canon inutile était gris de givre. Et le garde, à six pas, s'enveloppait de son manteau. Le canon avait peu servi, sauf certains jours de fête. La forteresse, formidable d'aspect, méritait sa réputation de fille des faubourgs (elle montait la garde au faubourg Saint-Antoine), car la Bastille se rendait sans résistance. Elle le fit durant des siècles, se donnant aux Bourguignons, aux Anglais, aux Ligueurs, à Henri IV enfin, toujours sans combat ou bien après un vague simulacre. Elle connaîtrait des jours plus aventureux.
En vraie fille des faubourgs, elle recevait en son giron la meilleure et la pire société, comme Marion de L'Orme ou Delorme, fille de baron et courtisane à la mode, que, disait-on, Richelieu disputait à des Barreaux. Duel inégal de versificateurs plus que de vrais poètes.
Dans le ciel froid mais clair de février 1638, Pierre La Porte attendait un signe. Le signe d'une main. D'une des mains les plus ravissantes du royaume, que Rubens et Mignard se complairaient à peindre, un signe de la main de Sa Majesté la reine de France, Anne d'Autriche, súur du roi Philippe IV d'Espagne et arrière-petite-fille de Charles quint. Pierre La Porte aimait la reine de France, née Dona Ana Maria Mauricia, du roi Felipe d'Espagne et de Marguerite d'Autriche, héritant de la lippe et de la morgue d'être deux fois Habsbourg, ce qui lui donnait une belle bouche et l'air hautain mais déplaisait au Roi et au Cardinal. Et ensorcelait La Porte. Pour elle, il avait appris l'espagnol, comme il avait appris l'histoire des Habsbourg et de leurs querelles avec la France depuis François Ier. Il n'ignorait rien non plus des codes secrets pouvant régir une correspondance ni de l'encre invisible qu'on tirait d'un jus de citron quand ce fruit ne manquait pas dans Paris.
Il devait à cette science son séjour ici. Au citron et à la fidélité à
sa Reine.
Un billet passé par le chevalier des Jars, qui servait de vague-mestre à toute l'honorable compagnie embastillée par la remarquable invention d'une poste non officielle mise sur pied au sein de la forteresse même, lui avait annoncé la veille qu'on parcourrait le faubourg Saint-Antoine ce matin. Le " on " roulait carrosse entouré d'un peloton de mousquetaires ou de gardes du Roi commandé par l'affable Guitaut.
La Porte guette donc un signe.
Le signe arrive, fait par la plus jolie main du royaume alors qu'il gèle à moitié sur sa tour.
La Porte a reconnu l'attelage sobre, mais entouré de gardes. La main se glisse au travers des mantelets de cuir frappés de lys d'argent, car le Roi interdit les ors, d'un carrosse. Le mouchoir que tiennent les fins doigts est blanc et La Porte, s'il ne les voit pas, y peut deviner, là encore, les lys du Roi. Cette main agite en fait un drapeau. La Porte, sur les créneaux, se sent vaillante esta-fette d'une victoire proche ; la Reine a investi le Roi, la citadelle de son indifférence est tombée. Les tambours pourraient battre la chamade, bruit doux à l'oreille des vainqueurs et que La Porte décèle dans le piaffement des sabots de la suite de la Reine sur la boue gelée. Victorieuse, Anne signifie à son féal ami qu'elle ne l'abandonnera pas ici.
La Reine sort du couvent des Súurs de la Visitation, qui se trouve à deux pas, et o˘ elle est venue embrasser sa chère Louise Angélique, et la remercier de ses bons conseils au Roi fort aidés par une tempête tombée du ciel. Puis, dans sa randonnée affectueuse, elle ne pouvait faire moins que d'avertir son porte-manteau, qui givrait sur les remparts et soufflait sur son onglée, de sa prochaine quoique encore putative libération.
La Porte redescend en sifflotant manger son p‚té et faire bombance aux frais d'un maréchal de France. Cette main agitant un mouchoir, voilà de quoi dérider son noble ami Bassompierre. Et éviter ainsi à la compagnie invitée par le vieux maréchal son rab‚chage éhonté sur les six mille lettres d'amour qu'il se vantait d'avoir br˚lées au jour de son arrestation, seuls papiers compro-mettants en sa possession. Ce qui n'était nullement vanterie de vieux galant. Mme de Bassompière l'avouait elle-même dans un sourire indulgent. On éviterait aussi la relation détaillée de ses démêlés avec le cardinal de Richelieu, que Bassompierre avait pourtant soutenu et appuyé à ses
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