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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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du feu connétable, Mme du Vemet, sa dame d'atour ; le reste de la Cour suivait ou s'était allé coucher.
    Les trois jeunes filles, à peine si elles paraissent dix-huit ans dans leurs jupons simples et sur leurs talons plats - on reste vêtue dans son privé quand le Roi n'est pas là, et le Louvre et les Tuileries, si renfrognés, prennent des allures de collège -, traversent la grande salle, celle o˘ se tient le trône sur son estrade. Elles se lancent, bras dessus, bras dessous, courant et glissant sur les dalles, aux applaudissements de ce qui reste de la Cour à veiller.
    Anne bute, trébuche sur l'estrade, son ventre heurte l'accoudoir du trône, tête de lion d'or. Elle crie, elle souffre, elle pleure.
    Guitaut, capitaine aux gardes, La Porte, son porte-manteau et vrai confident, la soutiennent. Chevrette et du Vernet s'affolent. La Porte et Guitaut la mènent dans sa chambre. Le vieux maréchal de Bassompierre se penche sur elle, la console, il sait parler aux jolies femmes, fait mander son propre médecin et intime à tous qu'on taise la funeste aventure au Roi. Fausse couche. Du sang, et une éclaboussure de chair qui ne vivra pas. " Mon ventre est un cimetière. "
    La terreur de ce souvenir est encore là. Ce soir près de la Chandeleur. Il est souvent là. Elle se le reproche. Voilà qui à jamais a éloigné le Roi, qui n'attendait certainement qu'une bonne raison.
    Cette raison fut la pire.
    La Reine feint le sommeil pour songer à cela et éloigner ce songe qui fut réalité. Elle tente de se rappeler, plus joyeux, plus tendres, ceux qui lui manquent et celui qui va advenir : un garçon.
    Elle sait que ce sera un garçon. Plusieurs saintes personnes ont eu des visions et le lui ont fait dire. Parfois, la superstition est douce et réconfortante. Surtout quand on est seule et que ceux que vous chérissez vous manquent.
    Marie. Stéphanille. Stéphanille surtout en cet instant de paix menacée dans l'antichambre par les espions et espionnes appointés par le Cardinal et le Roi : les dames de Lansac, de Brassac, le valet La Chesnaye. Seule Mme de Sénecey est restée. Gr‚ce à sa piété ? Elle l'ignore. Peut-être, oui, le Roi son mari respecte cette piété qui ne s'affiche pas. Tant mieux. Au moins une amie.
    Entre ses paupières à peine closes, d'o˘ ne filtrait pas le vert émeraude des iris qui enchantait la Cour, elle scrutait sa marquise de compagnie. Elle glissait vers le demi-siècle, et elle la trouvait fort belle pour cet ‚ge avancé. Un peu de Marie quant à la beauté, beaucoup de Stéphanille quant à la ferveur et la fidélité.
    " En mal d'enfant, formule idiote, pensa la Reine, c'est pour moi bonheur plus que mal " : Anne redevenait infante et songeait à sa nourrice et plus encore, bien plus, que nourrice.
    Dona Estefania de Villarguiran... La Reine murmura ce nom en castillan, Mme de Sénecey crut que la Reine rêvait en son sommeil. Non, la Reine prononçait ce nom pour se rassurer, se conforter. Et éloigner définitivement le souvenir terrifiant d'un jeu d'enfants sur les dalles du Louvre, ce catafalque des espoirs éventrés.
    Dona Estefania, dite Stéphanille, dès qu'elles eurent passé les Pyrénées, il y a si longtemps, quand l'infante avait treize ans et s'allait marier au roi de France. Vieille et affectueuse Stéphanille, rugueuse duègne, la seule personne des cent huit fidèles de sa suite espagnole qui avait suivi l'infante que son mari et le Cardinal ministre n'avaient pas au fil des ans renvoyée au-delà des Pyrénées. Mais Dieu s'en était chargé et l'avait reprise. Anne d'Autriche redevint Dona Ana Maria Mauricia, l'insolente gamine, et en voulut un peu à Dieu.
    Elle soupira.
    Mme de Sénecey s'approcha, la Reine ouvrit les yeux, lui sourit.
    - Vous êtes ma seule amie.
    - Je suis flattée de l'affection avouée de Votre Majesté.
    - Vous souvenez-vous de Stéphanille ?
    - Certes ! la femme la plus dévouée qu'eut à son service Votre Majesté.
    - Oui. Mais je vous remercie, marquise, de tout tenter, je le sais, pour la remplacer par vos conseils et votre discret dévouement.
    Révérence de la marquise.
    La Reine lui fit signe de se relever.
    - Le protocole est bon pour l'Espagne, il y est rude, croyez-moi. Nous sommes en France et nous sommes amies.
    Elle insista sur le mot, la gracieuse marquise rougit de plaisir.
    - Et nous allons, si vous le voulez bien, écrire à une autre amie.
    - Marie... dit Sénecey.
    - Oui, Marie de Hautefort. Merci de

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