Le lever du soleil
tenu. Il y a aussi appris l'italien. Ce jeune homme a tous les dons. Il est parfait.
En ce février 1638, Paul Scarron fils est fort adulte, déjà vingt-huit ans ou presque. Sa carrière est prometteuse, il ne manque de rien et Mgr Lavardin veut bien fermer les yeux sur quelques écarts de conduite, son secrétaire lui est trop précieux. Il donne à certains sermons, certaines homélies, une touche de style qui fait parfois, voire souvent, frissonner les fidèles. Or Mgr Lavardin meurt. quel avenir sous le collet ? De plus Paul Scarron, fidèle en amitié et ce trait lui restera, est sincèrement triste de la disparition de son maître et protecteur. Il faudra quitter Le Mans. Et retourner à
Paris ? Soit, mais qu'y faire ? Réfléchissons, ourdissons, puisque l'Eglise est veuve d'un excellent évêque et Paul orphelin d'un subrogé père, lui qui le fut de sa mère encore bambin. Il abandonnera le collet, c'est certain. Mais pas la prébende ni le bénéfice, seules sources de revenu compte tenu de l'avarice de sa mar‚tre.
Et de l'exil de l'Apôtre.
C'est la Chandeleur. Le Mans est en fête ainsi que toute la France en espoir de Dauphin. Comme à Paris, les hôtels des nobles, des gens de robe et des financiers sont illuminés. Les cloches de la cathédrale Saint-Julien sonnent à la volée. Certes, il fait froid. Et M. le secrétaire de l'ex-évêque, ce petit chanoine dont on raffole pour ses traits d'esprit assassins mais sans vraie méchanceté, pour ses propos lestes, mais il l'est plus en discours que dans les actes, et ce de son propre et honnête aveu, est convié
partout dans la ville. On a fort apprécié son prêche tout dédié à la Reine et au Roi, et à ce qui bouge déjà et vit dans le royal ventre.
Certaines matrones ont même essuyé une larme.
Comment se distinguer par son déguisement pour ce carnaval ?
Sous Monseigneur, il e˚t paru en abbé frivole ou en capitan Mata-more, mais vêtu de rouge cardinal, afin qu'on vît bien l'allusion à ce ministre trop important dont il imitait à la perfection l'habileté
à se grandir par des talons et le port de tête à la romaine. La mort de l'évêque lui rend certes toute liberté de conduite ou de pensée, même si elle lui brise un peu le cúur. Faisons la fête et oublions les deuils.
Dans les rues du Mans qui prépare bombance, sa province d'adoption semble à Paul plus riche que Paris, o˘ beaucoup vont pieds nus, o˘ l'on vole pour manger, o˘ l'on tue pour un denier.
Ici, il voit aux étals des chapons, la plus grande production des paysans de la région, et la plus célèbre au nord de la Loire. La viande la plus douce et tendre, l'onction faite volaille.
Un chapon, il en est un pendu dans sa cuisine. Marie de Hautefort le lui a adressé pour cette fête. L'exilée du ch‚teau de La Flotte, chez sa grand-mère, o˘ elle partage son temps avec son hôtel du Mans, a remarqué dès son arrivée le jeune chanoine et surtout ses vers burlesques. Il la désennuie dans sa retraite forcée.
Il parle avec drôlerie du " tyran à la robe écarlate " qui vaut à
Marie ce séjour dans une province qui ne lui déplaît pas.
A une veille de NoÎl, le " petit Scarron ", comme l'on dit, lui adressa même une étrenne, qui faisait d'elle plus qu'une Reine, avec la pointe de vantardise qui ne saurait choquer une Gasconne recluse dans le Maine :
Objet rare et charmant, merveille incomparable, Visible déité d'un monarque généreux
qui logez dans le corps d'une fille adorable Le courage et l'esprit d'un homme généreux,
Si le Ciel vous donnait ce que je désire,
Le Ciel d'o˘ vous tenez vos rares qualités
Vous seriez pour le moins maîtresse d'un empire, Et seriez pourtant moins que vous ne méritez.
Il y eut de meilleurs vers, mais pour Marie pas de meilleur NoÎl. Elle adore ce chanoine disert et drôle qui brosse le portrait des nobles dames mancelles avec férocité, quand il décrit " le parfum de leurs redoutables aisselles ", leur abus de l'anis, de la can-nelle, de la menthe, de la marjolaine, du thym, du pouliot, de la lavande, du mélilot pour refouler de leur haleine les éructations coutumières. Il y a une pointe de Rabelais dans les accumulations de mots ou d'épithètes, du Marot dans la sensualité des idées, que Scarron débite pour amuser sa belle et noble amie.
Promis, si d'aventure elle rentre à Paris, elle présentera son chanoine à la Reine dont la grandeur espagnole ne déteste pas les bons mots à la
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