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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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n'être point jalouse de cette amitié.
    La Reine émit un gloussement moqueur.
    - C'est si rare en cette Cour.
    La marquise hocha la tête.
    - Désirez-vous votre écritoire ?
    - Je suis lasse, écrivez, je signerai. Mais cette lettre sera lue par les gens du Cardinal et du Roi, grondez-moi si je dicte un mot dangereux. Et corrigez-le.
    - Bien, Votre Majesté.
    - Je voudrais y parler non de moi, marquise, mais de l'enfant à naître. Il me semble que si je trace sa vie sur le papier, il existera déjà.
    - Il existe déjà, selon Dieu.
    - Encore au registre des anges.
    - Dans votre chair, Majesté. Et, comme vous, il naîtra en septembre.
    - Oui. Je n'y avais point pensé... Je suis née le jour de l'automne 1601, l'enfant naîtra en fin d'été si les médecins savent compter. J'aime cette saison. Pourtant...
    Cette saison d'entre deux, encore belle et déjà nostalgique, cette saison o˘ les jours rétrécissent mais que nimbe avec tant de superbe le soleil qui joue des ors, des rouge sang, des ocres clairs sur les vertes forêts de France, sombres soies douces et musicales dans les brises, à l'opposé de l'aridité brutale des sierras espagnoles o˘ rôdent les bourrasques et les peurs. Et de malheureux fantômes, disait Stéphanille.
    - Oui, Madame, septembre est un beau mois pour venir au monde. Le soleil m˚rit le raisin, illumine ses couchers, crée des ciels à faire p‚mer les peintres et craindre aux libertins que Dieu existe malgré tout.
    La Reine sourit et se releva sur sa couche pour s'asseoir.
    - Oui, marquise, jusqu'aux libertins ! Mais je suis en mon automne, dont vous venez de brosser un si radieux portrait. A trente-six ans, je suis vieille parmi des demoiselles de quinze ou vingt ans.
    - Sauf moi. Et vous êtes très belle, le soleil d'automne a la couleur même de vos cheveux quand il dore les toits de Paris ou la Seine et ses vaguelettes d'or assombri.
    - Voilà un compliment que je ne prendrai pas pour une flagornerie.
    - Je ne suis pas un petit marquis mais une vieille marquise, dit, coquettement, et la Reine en sourit en elle-même, Mme de Sénecey.
    Mais la remarque de sa dame de compagnie avait rasséréné la Reine. Sur sa couche, elle se sentait belle. Elle jeta un úil au portrait qu'avait tiré d'elle M. Rubens, ce Flamand que toute l'Espagne et la France vénéraient. M. Rubens l'avait peinte dans une luminosité solaire qui ne venait de nulle part sinon de son visage, des dentelles du col immense en auréole. Sur ce tableau, la lumière émane d'elle, qui se morfond pourtant, de sa peau de lis, de ses yeux verts, de ses cheveux ch‚tain clair à bouclettes qui triomphent de la nuit profonde des soies et velours noirs d'une robe furieusement espagnole. Une reine des solitudes, pense Anne.
    Mme de Sénecey suit le regard de sa Reine. Ce portrait peint avec tout le génie des lumières du Nord est trop beau ; il en sourd une tristesse, comme une fin de moisson quand la terre et les hommes vont se résoudre au repos. quand tout se prépare dans l'attente des récoltes futures... Mais il est vrai que la Reine est belle et l'enfançon à naître s'enchantera de la beauté de sa Maman.
    - Ecrivons-nous, Madame ?
    - Oui, dit la Reine. Ne rêvons plus ! Faisons exister par les mots ce qui m'habite tant et m'amollit. " A ma chère Marie... "
    C'est à la veille de la Chandeleur que Marie de Hautefort reçut le courrier de la Reine dans l'hôtel de sa grand-mère, la comtesse de La Flotte, en son exil du Mans. Elle y remarqua deux choses : l'écriture qui n'était point celle d'Anne d'Autriche mais de Mme de Sénecey, Dieu soit loué, elle la savait fidèle. Et que le sceau de Sa Majesté avait été décollé et replacé, signe que les espions de Sa Majesté le Roi et du cardinal " Cul Pourri " avaient pris connaissance des propos.
    Pourtant ces propos étaient des plus encourageants. Non seulement la Reine confirmait sa grossesse mais évoquait un prochain retour de son amie exilée à la Cour. Et cela les censeurs l'avaient laissé passer... C'était donc vrai que le Roi admettait désormais bien des volontés de sa femme. Il accepterait que son ancien grand amour de tête repar˚t à ses côtés. Mais pas avant la naissance, très certainement. La Reine avait déjà eu deux fausses couches.
    Marie compta sur ses doigts comme une petite fille en ‚ge d'apprendre ses rudiments.
    Septembre, il faudrait patienter jusqu'en septembre ! Et Marie n'était pas patiente.
    Elle relut la lettre.

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