Le lever du soleil
Cette amitié, cette affection qui transparais-sent, cet espoir aussi. Allons, la Chandeleur cette année était vraiment une fête.
Sa grand-mère la surprit alors qu'elle dépliait une nouvelle fois la lettre.
- La Reine est enceinte.
- Mais je le sais, ma fille, tout Le Mans le sait, o˘ avais-tu la tête ?
- Je retournerai à la Cour.
- Certainement.
- Et je vous ferai nommer gouvernante du Dauphin !
- Et si c'est une fille ? plaisanta la comtesse.
- Nous l'habillerons en garçon, tromperons tout le monde, et nous aurons le premier roi de France de sexe féminin !
- Tu es folle, ma fille ! Mais quand tu es folle c'est que tu es heureuse. Prépare-toi, nous allons entendre prêcher ton chanoine préféré.
- Paul ?
- Oui, Paul Scarron le jeune, le fils de l'Apôtre.
- Cette Chandeleur est vraiment une fête.
Et Marie appela ses servantes pour se vêtir décemment (mais pas trop) pour paraître devant Paul Scarron, chanoine qui prêchait si bien en la cathédrale Saint-Julien et troussait, dans les salons, des vers licencieux encore mieux !
Marie rougit à quelque souvenir qui ne lui déplaisait pas. Si elle était sage, l'ancienne " inclination " du Roi n'était pas prude. Et le petit chanoine de Saint-Julien avait l'úil brillant, la main leste et la langue ravageuse. Il lui proférait des compliments osés dont elle n'aurait su se f‚cher, ni se passer.
Paul Scarron avait été le chanoine favori de Mgr Lavardin, qui pour être évêque du Mans n'en était pas moins bonhomme et fort tolérant. Le prélat aimait les gens, en bon chrétien, et les gens d'esprit, en ancien Parisien. Parmi ses amis, un robin, juge à la cour des Aides, M. Paul Scarron, dit Scarron l'Apôtre, car il exagérait à citer saint Paul dans ses péroraisons, muant chaque conseiller parisien en un Corinthien b‚illant. Ce Scarron avait un fils de dix-huit ans, également prénommé Paul, qui fréquentait avec une belle assiduité des manants de la poésie, comme Saint-Amant, Tristan-L'Hermitte, Georges de Scudéry, et qui marquait son go˚t pour la beauté en ayant visité le lit de Mlle Marion Delorme ; comme bien des gens de qualité et autres libertins, dont un ami d'enfance, Paul de Gondi, connu au collège.
Mais M. Scarron père, membre du Parlement, était méfiant. Il jugeait que son fils serait mieux auprès d'un évêque que dans une chambre de courtisane. Et la seconde Mme Scarron était bien de cet avis, pour d'autres raisons.
Scarron l'Apôtre était seigneur de Beauvais et de La Guespière, fils d'un trésorier de France et échevin. Il ne manquait pas de bien. Il fut veuf quand son fils Paul eut trois ans, se remaria avec une femme qui détesta l'orphelin. Substitut du Roi au Parlement, l'Apôtre devint conseiller à la Grand-Chambre sous le roi Henri.
Temps o˘ l'on parlait assez librement. Temps enfui. Paul Scarron n'avait pas vu ce temps passer et continuait, citant Paul de Tarse, à critiquer les édits. Le cardinal de Richelieu appréciait fort peu ce tonitruant juriste évangéliste plus revêche que Caton. L'exila du côté de La Guespière en bord de Loire, et le priva de son office, donc par là diminua son crédit. Et l'avenir de son fils.
Mme Scarron bis tourmenta son mari, le petit Paul IL Scarron ne serait pas magistrat ainsi que son père, car il e˚t fallu lui acheter une charge, mais devait être d'Eglise pour ne rien co˚ter. Va pour le collet.
Mgr Lavardin engage le garçon. Il est brillant, cultivé, connaît son latin, l'espagnol (la langue de l'ennemi, mais de la Reine aussi, celle donc qu'il convient de parler et comprendre), et lui promet un canonicat à la cathédrale Saint-Julien, au Mans.
M. Scarron est content, son fils Paul plutôt satisfait de devenir chanoine. L'exil ne durera pas longtemps, moins que celui de son père pense-t-il, et puis être d'Eglise est un passeport pour entrer là o˘ vous prend le désir d'entrer. F˚t-ce en secret. On ouvre les portes des salons à un abbé, celle de chambres aussi quand on sait y gratter.
Paul est charmant ; son esprit fait rire les dames, parfois grincer les messieurs, et Mgr Lavardin sourit sous sa moustache et sa barrette violette. Ce secrétaire est bien divertissant. On commente les faits de la Cour, on commente plus encore les décisions du Cardinal-duc et ministre, on s'amuse aussi. Paul Scarron trace quelques épigrammes, et fait rougir bourgeoises et aristocrates. Il a accompagné son évêque à Rome et s'est fort bien
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