Le lever du soleil

de France n'avait plus un seul ami, la paix n'était pas faite, la Reine sans doute encore rebelle, Mazarini était-il vraiment de confiance ? Et il eut de nouveau mal au ventre.
    Non de douleur pour cette perte énorme mais qui le libérait, mais parce qu'il voyait déjà venir l'assiéger la meute de ceux que Richelieu avait matés et qui réclameraient compensation. Aussi, avant de quitter ce Louvre détesté pour retourner dans l'air pur de Saint-Germain aux fontaines gazouillantes, à la forêt calme et déserte d'‚mes sinon de celles des cerfs, chevreuils et sangliers, ces compagnons qu'il devait tuer, mais sans haine, avec respect, il fit dire qu'il " savait des gens qui croiraient désormais avoir gagné leur procès devant l'Histoire, mais qu'il voulait qu'ils sus-sent que l'on ne changerait point de maximes ni de politique et que l'on agirait avec encore plus de vigueur, si Dieu lui en donnait la force, que durant la vie de M. le Cardinal ".
    Le message était aussi destiné à la Reine. Et Louis XILI se consacra aux grandioses funérailles, invitant toutes les cours d'Europe, sans omettre celles qui étaient en guerre avec lui, pour le 19 janvier 1643, à Notre-Dame. O˘ il décida dans le même temps de ne pas paraître.
    Le pape envoya un légat, qui rapporta le bon mot du vieux Urbain VILI : " S'il y a un Dieu, il va payer ! Mais vraiment, s'il n'y a pas de Dieu, le fameux homme ! "
    A la très pieuse, en apparence, Cour du très pieux, en toute sincérité, Louis XILI, seul Mazarin sourit de l'épigramme papale dans le secret de son cabinet. Mais quel sourire !
    Il attend. Il observe.
    Le Roi fait gratter " Palais Cardinal " et le remplacer par l'ins-cription " Palais Royal ". Mme d'Aiguillon proteste. Le Roi ricane. Mazarin se tait.
    Le Roi coupe les pensions des poètes et écrivains : " Maintenant nous n'avons plus besoin de cela ! " Mazarin opine au Conseil.
    Le corps de Richelieu part le 13 décembre pour la Sorbonne, o˘ le Cardinal a souhaité reposer. Et à laquelle il a légué sa bibliothèque et les moyens de l'entretenir. Richelieu fut toujours fier d'en avoir été le recteur.
    quand le cortège arrive vers le Pont-Neuf pour traverser la Seine, le peuple l'attend et danse autour du carrosse drapé de noir.
    On entend des cris, " voilà Jean Cul qui passe ", oraison funèbre des hémorroÔdes, " frère de Jean Fesse ". Un feu br˚le au pied de la statue du bon roi Henri, la ronde englobe Henri IV et le cadavre du ministre, pourtant escorté d'une compagnie de ses gardes.
    Lui vivant, ils eussent fendu cette foule, cassé des têtes, brisé
    des jambes au galop des chevaux noirs. Là, la compagnie attend, casques rouges au vent. Devant les chansons que l'on cloue sur ce pont qui fut, dès sa construction, l'étal de tous les libelles, on voit sous les chapeaux à panache noir, au-dessus des casques écarlates comme le sang, des sourires que soulignent les moustaches des meilleurs bretteurs de France hors les mousquetaires.
    Ils ne feront pas un geste contre la liesse aigre de ce peuple qu'ils ont toujours méprisé et fendu comme blé pendant une chasse. Ils attendent qu'il en ait fini de se réjouir, se lasse, boive trop, s'endorme. Et le Cardinal repart vers la Sorbonne.
    Le feu né au Pont-Neuf à Paris va faire des enfants dans les provinces au fur et à mesure que des cavaliers viennent annoncer que le Cardinal-Duc, " Cul Pourri ", a crevé. Cela br˚le et se répand : la Picardie, la Champagne, le Berry, le Bourbonnais, l'Auvergne, la Guyenne, la Provence, le Dauphiné. C'est en Normandie qu'ils sont les plus hauts.

Un courtisan a décloué un rondeau malicieux des poteaux du Pont-Neuf. Le Roi le met en musique sur sa guitare, il le siffle et persifle sur un air guilleret, qui fait traîner la fin de chaque vers en vocalises mièvres et réjouies. On est loin des psaumes et des Leçons de Ténèbres o˘ sa guitare se complaisait.
    L'émotion vraie passée, le Roi déguste sa liberté nouvelle. Il est le premier à recevoir dépêches et courrier, ce qu'il ne connut jamais. Mazarin les lui porte comme un modeste secrétaire et se tait, sauf quand le Roi questionne. Il est discret, on ignore qu'il est aussi efficace.
    A la NoÎl, le roi s'est déjà lassé de ce plaisir auquel il n'est pas habitué.
    Prendre des décisions l'assomme. Le modeste Mazarin propose modestement à Sa Majesté de s'en remettre à lui.
    Sitôt dit, sitôt fait.
    Mazarin sourit.
    Ce fut une reine, un Dauphin