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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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comme à nous tous chaque matin, de changer d'habits. Il me fallait veiller à la bonne tenue des uniformes.

    Le Roi sourit en même temps que son ministre.
    On ouvrit timidement la porte, Chicot faisait présenter au Cardinal deux jaunes d'úufs en un bouillon de poule. Il hésita devant le Roi qui se leva du chevet, prit le bol d'argent reposant sur un plat et donna, cuillerée par cuillerée, cette ultime nourriture que les intérieurs du corps épuisé pouvaient encore avaler sans vomir.
    Chicot et le valet s'en allèrent rapporter à voix basse l'immense honneur que le Roi accordait ce jour funeste à son " cousin ".
    Richelieu en était conscient et se redressa tant qu'il put, aidé
    par le royal bras, sur ses oreillers, toujours secs ; son corps se refusait même à suer sa fièvre. Entre chaque cuillerée, il recommanda un des siens :
    - Chavigny, Sire, a bien servi la France. De Noyers aussi. Et Mazarin la servira mieux encore. L'employer le plus possible sera l'employer au mieux.
    - Il a de l'esprit et une belle écriture...
    - Ma famille, ma nièce duchesse d'Aiguillon, mon neveu...
    - Mon cousin, ils sont désormais de la mienne, reposez tranquille, vos recommandations me sont sacrées, comme elles le furent toujours, et je les appliquerai, quoique, j'espère, plus tard que vous ne croyez.
    - Je crains, Sire, que ce ne soit dès demain.
    - Nous verrons bien.
    - Sire, on ouvrira mon testament. Le Palais Cardinal en son entier et ses meubles reviennent de droit, et par amitié, à mon
    " cousin " le Roi, puis ils iront au Dauphin, ainsi que mon grand buffet d'argent ciselé, ma chapelle d'or et de diamants, cet autre grand diamant que Votre Majesté a souvent admiré, mais pas assez envié pour que je le lui donnasse et mes huit plus belles tentures ; celles qui représentent des victoires de tous les héros de l'Histoire jusqu'à vous.
    - Nos victoires, mon cousin.
    Richelieu sentit sur les os et la peau de ses doigts, y restait-il seulement un peu de chair, se refermer avec tendresse la main de son Roi, tout aussi maigre mais encore vivace ; une poigne qu'il envia. Ce fut le seul signe d'affection manifeste, mais cette affection-là était forte, sincère, étreignante.
    Le regard dans le visage de cire s'éteignait peu à peu, comme une chandelle à bout de mèche. Le Roi fixait ces yeux qui per-daient leur éclat. Il se leva et lui-même tisonna l'‚tre, y prit un brandon, ralluma quatre chandeliers. C'étaient petites t‚ches qu'il aimait à faire lui-même, quand après une journée de chasse il s'installait dans son petit ch‚teau de cartes des quatre-Vents construit à Versailles, ce relais entre le plaisir de traquer le fauve et celui de la nuit. Et Richelieu, bon piqueux mais qui n'avait jamais participé à ce divertissement que Louis préférait à tous, la chasse, lui avait permis d'attraper au collet le palais le plus élégant et le plus riche de Paris, ce Palais Cardinal, à trente pas du Louvre, forteresse antique, incommode et presque barbare. O˘ six jours durant il avait vu le cadavre de son père le roi Henri sur un lit de parade, pleurant devant ou du moins les yeux pleins de larmes mais refusant qu'elles coulent. Il avait appris bien longtemps après, à sa première calvitie, qu'il avait pleuré un faux corps, moulé de cire, empli de paille, le vrai cadavre, trop puant pour rester exposé ainsi, étant caché en un coffre de plomb sous le lit.
    Sa mère honnie, Marie de Médicis, avait laissé son fils pleurer pour père un épouvantail !
    Ce corps-là, allongé dans ses brocarts, ses draps, ses courtepointes, sans bonnet et en chemise, et qui sentait plutôt les fleurs séchées d'un pot-pourri que la mort et ses odeurs d'égout, lui sembla un vrai cadavre de vrai père, devant lequel il était permis de s'affliger. Oui, le cousin Richelieu avait sans doute été un peu un père. Le vieil orphelin eut, l'espace d'un bref instant, envie de pleurer la vraie mort d'un vrai protecteur. Mais il retint une fois encore ses larmes, resserra la main avec plus de chaleur, se leva et laissa son ministre reposer.
    Dans l'antichambre et les couloirs, parmi les révérences, les chapeaux balayant les parquets, il croisa le curé de Saint-Eustache, M. Le Tonnelier ; il fut le seul à recevoir un mot du Roi.
    - Son Eminence se repose, et reprend ses forces, afin de mieux recevoir votre viatique. Permettez-lui, mon Père, de faire le mieux possible et de la manière la plus légère ce dernier

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