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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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s'agissait en la ravissante personne de la duchesse d'Aiguillon de la seule femme sur terre qu'il ait aimée depuis sa mère. Amour que sa nièce lui avait rendu et dont il ne savait quelle manifestation ce sentiment prendrait aux derniers instants. Elle s'était montrée si jalouse de cer-

    tains attachements de son cher oncle en rouge pour certaines dames.
    Point trop de pleurs, point trop de sentiments... Mais faire confiance était au-dessus de ses forces... Si elle se laissait aller à
    des débordements, que faire ? Il la ferait chasser.
    Il se moqua de cette crainte qui arrivait à une bien curieuse heure ! Non, elle se tiendrait. Il savait dans l'antichambre la présence du Père Léon, supérieur des Carmes, qui aurait la sainte charge d'oindre son front et de clore ses paupières après la dernière absolution. Il ne voulut pas voir Chavigny auquel il avait donné ses instructions, ni Mazarini. Il ne voulait voir personne et rester avec ses pensées. Les mettre en ordre, sans remords, sans regret, sans juger même ses actions. Etre seul face à l'Histoire comme il l'avait dit au curé de Saint-Eustache, seul surtout face à
    lui-même, enfin. Aurait-il peur ? Aurait-il mal ? La mort n'est rien, puisqu'elle est anéantissement des douleurs, c'est mourir, l'acte même, qui est tout ; et fait peur.
    Il verrait bien.
    La bien-aimée était à son chevet. S'était-il assoupi? Il vit d'abord la bouche et les yeux et le corsage, le grain de peau si frais et lisse comme bébé.
    Dieu qu'elle était belle ! La plus jolie veuve de France, aimée de son autre oncle le maréchal de Brézé, dont elle était nièce de l'épouse, Nicole, súur du Cardinal. Il jeta dans un souffle :
    - Marie-Madeleine...
    - Oui, mon seigneur, mon maître.
    - Je vous ai recommandée au Roi, il prendra soin de vous.
    Les Rois sont parfois de parole, celui-ci le sera pour moi.
    - Je me retirerai au Carmel si vous disparaissez.
    - Non pas, ne vous faites pas oublier. Vous êtes chef de famille, l'aînée et mon héritière, mes neveux et mes nièces doivent prospérer ; remariez-vous.
    - Mon premier mariage avec M. de Combalet...
    - Etait une affaire, aujourd'hui vous êtes duchesse, faites ce qu'il vous plaît. Epousez un prince, liez-vous à ces traîtres de Condé. Ils aspirent à envahir notre famille.
    - Je suis liée à vous.
    Elle dégrafait son corsage et approchait ses seins nus du visage de son oncle, les voulant donner à téter :
    - Le meilleur remède ; n'est-ce pas ainsi que dans l'Antiquité
    un père disgracié fut nourri dans sa geôle par sa fille ?
    - Laissez les légendes et couvrez-vous. On pourrait entrer. On entre beaucoup dans une chambre d'agonie. Pour vérifier si le passage est en route.
    Il grimaça un sourire que vinrent baiser les lèvres de sa nièce.
    La main du Cardinal vint frôler d'un doigt sec et léger le front, le nez, le cou.
    - Cessez, Marie-Madeleine. Vous f˚tes la seule femme à
    avoir tout pouvoir sur moi.
    - Il n'y aura plus d'homme après vous pour moi. Je m'installe avec la baronne du Vigean.
    - On fait des gazettes de vos amours tribades.
    - Elles sont vraies. Peu m'importe. Nul homme, vous ai-je dit, après vous.
    - Marie-Madeleine, vous parlez à un mourant... Et ne lui rap-pelez pas...
    - Vous ne mourrez pas, une sainte carmélite l'a su dans une vision.
    - Ma nièce, il n'est de vérité que dans l'Evangile. Je meurs, comprenez-vous. Et vous montrez une trop grande tendresse. Souvenez-vous que je vous ai toujours aimée et estimée plus que personne au monde ; gardez ce seul souvenir de moi et retirez-vous ; il ne serait pas à propos que vous me voyiez mourir.
    - Mon seigneur, non !
    Il refusa ses cris, tira sur le cordonnet de soie qui pendait en tête de son lit et commanda qu'on ôt‚t sa nièce de son chevet, la faisant sortir par une porte dérobée, car elle manifestait trop de douloureuse tendresse.
    Le départ de la nièce, la fin de sa vue, le mena dans une dernière faiblesse. Il cria, le Père Léon des Carmes accourut. Il bénit le visage fané o˘ roulait une larme et dont la bouche murmura :
    - In manus tuas, Domine...
    Le Cardinal-Duc venait de passer en invoquant une dernière fois son seul Seigneur.
    Le Roi grignotait des confitures sèches, son seul repas ce midi, quand il l'apprit. Il se signa, et pensa à Cinq-Mars. On l'entendit étrangler un rire. Le bourreau de son favori n'avait pas survécu trois mois à celui-ci. Puis, à son ordinaire, il se rembrunit. Le roi

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