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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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voyage, à lui qui a si souvent parcouru notre royaume, et quelques provinces appartenant aux autres. Souvent dans les plus grandes douleurs. qu'il ne souffre pas, oh je ne parle pas du corps, il est au-delà de la souffrance, mais de son bien le plus précieux, de ce qu'il eut de plus noble, son ‚me. Bénissez-moi, je vais perdre mon dernier ami.
    Le curé de Saint Eustache trembla mais bénit le Roi qui venait d'ôter son chapeau à plumets d'encre, faits d'empennes de geai, et mettait genou en terre. Les murmures courtisans s'en émerveil-laient, avec pudeur pour une fois.
    Ce fut la dernière question avant l'onction extrême :
    - Pardonnez-vous à vos ennemis ?
    - Non ! Car je n'eus d'ennemis que ceux de la France !
    Le saint homme sursauta. L'orgueil, encore l'orgueil, jusqu'au dernier souffle ! La mort peut venir, elle l'emmènera mais ne le réduira pas. Seul Dieu le pourra. Du moins le Père Le Tonnelier l'espérait-il.
    Jusqu'alors, Richelieu avait fait preuve d'une pieuse humilité,
    " disant préférer mille morts plutôt que commettre un seul péché
    mortel " ou bien " avoir mille vies pour les consacrer toutes à la foi ". Et Le Tonnelier avait cru à la sincérité, étant lui-même sincère, mais, responsable de la paroisse la plus dans le vent du temps, à deux pas du Louvre, cinq du Palais Cardinal, de l'hôtel de Chevreuse, de l'hôtel de Bourgogne, des Halles ou régnaient le tonitruant duc de Beaufort et sa clique Vendôme, il saisissait toutes les nuances et variantes de la sincérité. Le Cardinal était chrétien sincère, mais le chrétien le plus puissant de toute la chré-tienté, f˚t-elle catholique ou - et Le Tonnelier se signa - hérétique comme celle des princes allemands et de la couronne de Suède. Il savait aussi que les Grands ne confessaient point certains péchés car ils ne les considéraient pas comme tels, les laissant au commun, pour eux ils n'étaient que manières du monde, voire qualités. Le Cardinal-Duc n'échappait pas à cette interprétation que le curé ne pouvait s'empêcher de juger abusive... Mais la paroisse de Saint-Eustache, o˘ communiaient les Rois quand ils n'étaient encore que Dauphins, o˘ les plus somptueuses funérailles de princes et de ducs se déroulaient, était de forte rente. Sans songer à des accommodements avec le Ciel, le Père Le Tonnelier s'accommodait de l'humaine nature ; qu'elle f˚t titrée, blasonnée, couronnée ou non. Et pour cette humaine nature, le curé nourris-sait quelque tendresse : ainsi se montrait-il vrai chrétien.
    Pas de pardon à ses ennemis ! La chose était un peu forte, tout de même.
    Le mourant le scrutait et lisait dans l'esprit du saint bonhomme.
    - Non, mon Père, aucun pardon. Sauf à la Reine, qui n'est plus me dit-on ennemie de la France, mais le fut. Dans l'état o˘
    je suis, je dois lui pardonner mais puis-je la croire ?
    Le Tonnelier soupira d'aise ; en effet le visage de la souveraine le hantait. Cet homme ne pouvait mourir béni tant qu'il haÔrait cette femme... après l'avoir trop désirée.
    - Vous voilà satisfait, il paraît...
    Richelieu souriait au curé, et poursuivit :
    - Je vous comprends. Et votre vúu était pieu. Le voilà exaucé.
    Mais comprenez-moi aussi... Nous parlions de ma vie, qui ne fut pas celle d'un débauché ni d'un criminel, non plus celle d'un saint, et puis, tout à coup, vous avez parlé d'Histoire. Nous entrions dans une autre sphère d'éternité, l'humaine, moins parfaite que la divine, mais o˘ j'entends bien rester. Sans orgueil, péché capital, mais au mérite !
    Le Tonnelier administra les sacrements qu'Armand du Plessis duc de Richelieu reçut fort saintement.
    L'‚me en paix ? En sortant de la chambre, le curé en doutait encore : cet homme haÔssait trop mourir.
    Il mourut le lendemain peu après midi sonné.
    Il le voulut faire seul, ayant passé une bonne nuit gr‚ce encore à quelques " petites graines " dont il ignorait tout mais dont Chicot disait grand bien et qu'il avait acquises chez Le Fèvre. Il dut encore accueillir l'abbé La Rivière, favori de Monsieur, autant dire un traître. Il lui fît bonne figure, du moins ce qu'il en restait, et le méprisa, ce qui le revigora un temps. Il attendit aussi le passage de sa nièce qu'on lui avait annoncé. Une douleur, une espérance et un regret ; il ne souhaitait ni la recevoir ni l'éviter, l'‚me inflexible qui avait tout fléchi en Europe s'épouvanta presque de cette entrevue ultime : c'est qu'il

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