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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’Artois qui poussait à l’action
immédiate. Qu’attendait donc Édouard pour se mettre en campagne ? Que les
princes flamands qu’on était parvenu à rallier fussent morts ? Que Jean de
Hainaut, exilé maintenant de la cour de France après y avoir été si fort en
faveur, et qui vivait de nouveau à celle d’Angleterre, n’eût plus le bras assez
fort pour soulever son épée ? Que les foulons de Gand et de Bruges fussent
lassés et vissent moins d’avantages aux promesses non tenues du roi
d’Angleterre qu’à l’obéissance au roi de France ? Édouard souhaitait
recevoir des assurances de l’empereur ; mais l’empereur n’allait pas
risquer d’être excommunié une seconde fois avant que les troupes anglaises
aient pris pied sur le Continent ! On parlait, on parlementait, on
piétinait ; on manquait de courage, il fallait dire le mot.
    Robert d’Artois avait-il à se
plaindre ? En apparence, nullement. Il était pourvu de châteaux et
pensions, dînait auprès du roi, buvait auprès du roi, recevait tous les égards
souhaitables. Mais il était las de dépenser ses efforts, depuis trois ans, pour
des gens qui ne voulaient point courir de risques, pour un jeune homme à qui il
tendait une couronne, quelle couronne ! et qui ne s’en saisissait point.
Et puis il se sentait seul. Son exil, même doré, lui pesait. Qu’avait-il à dire
à la jeune reine Philippa, sinon lui parler de son grand-père Charles de
Valois, de sa grand-mère d’Anjou-Sicile ? Par moments, il prenait le
sentiment d’être lui-même un ancêtre.
    Il aurait aimé voir la reine
Isabelle, la seule personne en Angleterre avec laquelle il eût vraiment des
souvenirs communs. Mais la reine mère n’apparaissait plus à la cour ; elle
vivait à Castle-Rising, dans le Norfolk, où son fils allait, de loin en loin,
la visiter. Depuis l’exécution de Mortimer elle n’avait plus d’intérêt à rien [30] …
    Robert connaissait les nostalgies de
l’émigré. Il pensait à Madame de Beaumont ; quel visage aurait-elle, au
sortir de tant d’années de réclusion, quand il la retrouverait, si jamais ils
devaient être réunis ? Reconnaîtrait-il ses fils ? Reverrait-il
jamais son hôtel de Paris, son hôtel de Conches, reverrait-il la France ?
Du train qu’allait cette guerre qu’il s’était donné tant de mal à créer, il lui
faudrait attendre d’être centenaire avant d’avoir quelque chance de revenir en
sa patrie ! Alors, ce matin-là, mécontent, irrité, il était parti chasser
seul, pour occuper le temps et pour oublier. Mais l’herbe, souple sous les
pieds du cheval, l’épaisse herbe anglaise, était encore plus touffue et plus
gorgée d’eau que l’herbe du pays d’Ouche. Le ciel avait une teinte bleu pâle,
avec de petits nuages déchiquetés et volant très haut ; la brise de mai
caressait les haies d’aubépine fleurie et les pommiers blancs, pareils aux
pommiers et aux aubépines de Normandie.
    Robert d’Artois allait avoir bientôt
cinquante ans, et qu’avait-il fait de sa vie ? Il avait bu, mangé,
paillardé, chassé, voyagé, besogné pour lui-même et pour les États, tournoyé,
plaidé plus qu’aucun homme en son temps. Nulle existence n’avait connu plus de
vicissitudes, de tumulte et de tribulations. Mais jamais il n’avait profité du
présent. Jamais il ne s’était vraiment arrêté à ce qu’il faisait, pour savourer
l’instant. Son esprit constamment avait été tourné vers le lendemain, vers
l’avenir. Son vin trop longtemps avait été dénaturé par le désir de le boire en
Artois ; au lit de ses amours, c’était la défaite de Mahaut qui avait
occupé ses pensées ; au plus joyeux tournoi, le soin de ses alliances lui
faisait surveiller ses élans. Durant son errance de banni, le brouet de ses
haltes, la bière de ses repos, avaient toujours été mêlés d’une âcre saveur de
rancune et de haine. Et aujourd’hui encore, à quoi pensait-il ? À demain,
à plus tard. Une impatience rageuse l’empêchait de profiter de cette belle
matinée, de ce bel horizon, de cet air doux à respirer, de cet oiseau tout à la
fois sauvage et docile dont il sentait l’étreinte sur son poing… Était-ce cela
qu’on appelait vivre, et de cinquante ans passés sur la terre ne restait-il que
cette cendre d’espérances ?
    Il fut tiré de ses songes amers par
les cris de son écuyer posté en avant, sur une éminence.
    — Au vol, au vol ! Oiseau,
Monseigneur,

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