Le Lis et le Lion
oiseau !
Robert se dressa sur sa selle,
plissa les paupières. Le faucon muscadin, la tête enfermée dans un capuchon de
cuir dont seul le bec dépassait, avait frémi sur le poing ; lui aussi
connaissait la voix. Il y eut un bruit de roseaux froissés et puis un héron s’éleva
des bords de la rivière.
— Au vol, au vol !
continuait de crier l’écuyer.
Le grand oiseau, volant à faible
hauteur, glissait contre le vent et venait en direction de Robert. Celui-ci le
laissa passer, et quand l’oiseau eut pris environ trois cents pieds
d’éloignement, alors il libéra le faucon de son capuchon, et d’un large geste
le lança en l’air.
Le faucon décrivit trois cercles
autour de la tête de son maître, descendit, rasa le sol, aperçut la proie qu’on
lui destinait, et fila droit comme trait d’arbalète. Se voyant poursuivi, le
héron allongea le cou pour dégorger les poissons qu’il venait d’avaler dans la
rivière, et s’alléger d’autant. Mais le muscadin se rapprochait ; il
montait d’essor, en tournoyant comme s’il suivait une spirale. L’autre, à
grands coups d’ailes, s’élevait vers le ciel pour éviter que le rapace ne le
coiffât. Il montait, montait, diminuait au regard, mais perdait de la distance,
parce qu’il avait été levé contre le vent et se trouvait ralenti par sa propre
envergure. Il dut rebrousser chemin, le faucon accomplit un nouveau tourbillon
dans les airs et s’abattit sur lui Le héron avait fait un écart de côté, et les
serres ne purent assurer leur prise. Étourdi néanmoins par le choc, l’échassier
tomba de cinquante pieds, comme une pierre, et puis se remit à fuir. Le faucon
fondait à nouveau sur lui Robert et son écuyer suivaient, tête levée, cette
bataille où l’agilité l’emportait sur le poids, la vitesse sur la force, la
méchanceté belliqueuse sur les instincts pacifiques.
— Vois donc ce héron, criait
Robert avec passion, c’est vraiment le plus lâche oiseau qui soit. Il est large
quatre fois comme mon petit émouchet, il pourrait l’assommer d’un seul coup de
son long bec, et il fuit, le couard, il fuit ! Va, mon petit vaillant,
cogne ! Ah ! le brave petit oiseau ! Voilà ! Voilà l’autre
cède, il est pris !
Il mit son cheval au galop pour
gagner l’endroit où les oiseaux allaient s’abattre. Le héron avait le cou
étreint dans les serres du faucon, il devait étouffer, ses vastes ailes ne battaient
plus que faiblement et, dans sa chute, il entraînait son vainqueur. À quelques
pieds du sol, l’oiseau de proie ouvrit les serres pour laisser sa victime choir
seule et puis se rejeter sur elle et l’achever à coups de bec dans les yeux et
la tête. Robert et son écuyer étaient déjà là.
— Au leurre, au leurre !
dit Robert.
L’écuyer décrocha de sa selle un
pigeon mort et le jeta au faucon, pour le
« leurrer ». Demi-leurre, en vérité, un faucon bien dressé
devait savoir se contenter de cette récompense sans toucher à la proie. Et le
vaillant petit muscadin, la face maculée de sang, dévora le pigeon mort, tout
en gardant une patte posée sur le héron. Du ciel descendaient lentement
quelques plumes grises arrachées pendant le combat.
L’écuyer mit pied à terre, ramassa
l’échassier et le présenta à Robert ; un héron superbe et qui, ainsi élevé
à bout de bras, avait des pattes au bec presque la longueur d’un homme.
— C’est vraiment trop lâche
oiseau ! répéta Robert. Il n’y a presque point de plaisir à le prendre.
Ces hérons sont des braillards qui s’effraient de leur ombre et se mettent à
crier quand ils la voient. On devrait laisser ce gibier-là aux vilains.
Le faucon repu, et obéissant au
sifflet, était venu se reposer sur le poing de Robert, celui-ci le recoiffa de
son capuchon. Puis on reprit au petit trot la direction du château. Soudain,
l’écuyer entendit Robert d’Artois rire tout seul d’un éclat bref, sonore, que
rien apparemment ne motivait, et qui fit broncher les chevaux.
Comme ils rentraient à Windsor,
l’écuyer demanda :
— Que dois-je faire du héron,
Monseigneur ?
Robert leva les yeux vers la
bannière royale qui flottait sur le donjon de Windsor, et son visage prit une
expression moqueuse et méchante.
« Prends-le et accompagne-moi
aux cuisines, répondit-il. Et puis tu iras quérir un ménestrel ou deux parmi
ceux qui sont au château. »
V
LES VŒUX DU HÉRON
Le repas en était au quatrième
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