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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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besoin de sang, Robert d’Artois, tendant les bras hors de ses
manches de velours, au roi, aux Lords, aux Communes, à l’Angleterre, offrait le
sien.
     

III

LE DÉFI DE LA TOUR DE NESLE
    Lorsque l’évêque Henry de Burghersh,
trésorier d’Angleterre, escorté de William Montaigu, nouveau comte de
Salisbury, de William Bohun, nouveau comte de Northampton, de Robert Hufford, nouveau
comte de Suffolk, présenta le jour de la Toussaint, à Paris, les lettres de
défi qu’Édouard III Plantagenet adressait à Philippe VI de Valois,
celui-ci, pareil au roi de Jéricho devant Josué, commença par rire.
    Avait-il bien entendu ? Le
petit cousin Édouard le sommait de lui remettre la couronne de France ?
Philippe regarda le roi de Navarre et le duc de Bourbon, ses parents. Il
sortait de table en leur compagnie ; il était de belle humeur ; ses
joues claires, son grand nez se teintèrent de rose et il se remit à pouffer.
    Que cet évêque, noblement appuyé sur
sa crosse, que ces trois seigneurs anglais, raides dans leurs cottes d’armes,
fussent venus lui faire une annonce plus mesurée, le refus de leur maître, par
exemple, de livrer Robert d’Artois, ou bien une protestation contre le décret
de saisie de la Guyenne, Philippe sans doute se fût fâché. Mais sa couronne,
son royaume tout entier ? Cette ambassade, en vérité, était bouffonne.
    Mais oui, il entendait bien :
la loi salique n’existait pas, son couronnement était irrégulier…
    — Et que les pairs m’aient fait
roi de leur volonté, que l’archevêque de Reims, voici neuf ans, m’ait sacré,
cela non plus, messire évêque, n’existe pas ?
    — Beaucoup de pairs et barons
qui vous ont élu sont morts depuis, répondit Burghersh, et d’autres se
demandent si ce qu’ils ont fait alors a été approuvé par Dieu !
    Philippe, toujours secoué de rire,
renversa la tête en arrière, découvrant les profondeurs de sa gorge.
    Et quand le roi Édouard était venu
lui rendre l’hommage à Amiens, ne l’avait-il pas reconnu pour roi ?
    — Notre roi, alors, était
mineur. L’hommage qu’il vous fit, et qui eût dû, pour avoir valeur, être
consenti par le Conseil de régence, n’avait été décidé que sur l’ordre du
traître Mortimer, lequel depuis a été pendu.
    Ah bah ! il ne manquait pas
d’aplomb, l’évêque, qui avait été fait chancelier par Mortimer, lui avait servi
de premier conseiller, avait accompagné Édouard à Amiens et lu, lui-même, dans
la cathédrale, la formule de l’hommage !
    Que disait-il à présent de la même
voix ? Que c’était à Philippe, en tant que comte de Valois, de rendre
l’hommage à Édouard ! Car le roi d’Angleterre reconnaissait volontiers à
son cousin de France le Valois, l’Anjou, le Maine, et même la pairie… Vraiment
c’était trop de magnanimité !
    Mais où se trouvait-on, Dieu du
ciel, pour entendre pareilles énormités ?
    On était à l’hôtel de Nesle, parce
qu’entre deux séjours à Saint-Germain et à Vincennes le roi passait la journée
en cette demeure donnée à son épouse. Car, tout ainsi que de moindres seigneurs
disaient : « On se tiendra en la grand-salle », ou « dans
la petite chambre aux perroquets », ou encore « on soupera dans la
chambre verte », le roi décidait : « Ce jour, je dînerai au
Palais de la Cité », ou bien « au Louvre », ou bien « chez
mon fils le duc de Normandie, dans l’hôtel qui fut à Robert d’Artois ».
    Ainsi les vieux murs de l’hôtel de
Nesle, et la tour plus vieille encore qu’on apercevait par les fenêtres,
étaient témoins de cette farce. Il semble que certains lieux soient désignés
pour qu’y passe le drame des peuples sous un déguisement de comédie. En cette
demeure où Marguerite de Bourgogne s’était si bien divertie à tromper le Hutin
dans les bras du chevalier d’Aunay, sans pouvoir imaginer que cette joyeuseté
changerait le cours de la monarchie française, le roi d’Angleterre faisait
présenter son défi au roi de France, et le roi de France riait [29]  !
    Il riait si fort qu’il en était
presque attendri ; car il reconnaissait, en cette folle ambassade,
l’inspiration de Robert. Cette démarche ne pouvait être inventée que par lui.
Décidément, le gaillard était fou. Il avait trouvé un autre roi, plus jeune,
plus naïf, pour se prêter à ses gigantesques sottises. Mais où
s’arrêterait-il ? Le défi de royaume à royaume ! Le remplacement

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