Le Lis et le Lion
d’un
roi par un autre… Passé un certain degré d’aberration, on ne peut plus tenir
rigueur aux gens des outrances qui sont en leur nature.
— Où logez-vous, Monseigneur
évêque ? demanda Philippe VI courtoisement.
— À l’hôtel du Château Fétu,
rue du Tiroir.
— Eh bien !
Rentrez-y ; ébattez-vous quelques jours en notre bonne ville de Paris, et
revenez nous voir, si vous le souhaitez, avec quelque offre plus sensée. En
vérité, je ne vous en veux point ; et même, pour vous être chargé d’une
pareille mission et l’accomplir sans rire, comme je vous le vois faire, je vous
tiens pour le meilleur ambassadeur que j’aie jamais reçu…
Il ne savait pas si bien dire, car
Henry de Burghersh avant d’arriver à Paris était passé par les Flandres. Il
avait eu des conférences secrètes avec le comte de Hainaut, beau-père du roi
d’Angleterre, avec le comte de Gueldre, avec le duc de Brabant, avec le marquis
de Juliers, avec Jakob Van Artevelde et les échevins de Gand, d’Ypres et de
Bruges. Il avait même déjà détaché une partie de sa suite vers l’empereur Louis
de Bavière. Certaines paroles qui s’étaient dites, certains accords qui avaient
été pris, Philippe VI les ignorait encore.
— Sire, je vous remets les
lettres de défi.
— C’est cela, remettez, dit
Philippe. Nous garderons ces bonnes feuilles pour les relire souvent, et
chasser la tristesse si elle nous vient. Et puis l’on va vous servir à boire.
Après tant parler, vous devez avoir le gosier sec.
Et il frappa des mains pour appeler
un écuyer.
— À Dieu ne plaise, s’écria
l’évêque Burghersh, que je devienne un traître et que je boive le vin d’un
ennemi auquel, du fond du cœur, je suis résolu à faire tout le mal que je
pourrai !
Alors Philippe de Valois se remit à
rire aux éclats, et, sans plus s’inquiéter de l’ambassadeur ni des trois Lords,
il prit le roi de Navarre par l’épaule et rentra dans les appartements.
IV
AUTOUR DE WINDSOR
Autour de Windsor, la campagne est
verte, largement vallonnée, amicale. Le château couronne moins la colline qu’il
ne l’enveloppe, et ses rondes murailles font songer aux bras d’une géante
endormie sur l’herbe.
Autour de Windsor, le paysage
ressemble à celui de la Normandie, du côté d’Évreux, de Beaumont ou de Conches.
Robert d’Artois, ce matin-là, s’en
allait à cheval, au pas. Sur son poing gauche, il portait un faucon muscadin
dont les serres étaient enfoncées dans le cuir épais du gant. Un seul écuyer le
devançait, du côté de la rivière.
Robert s’ennuyait. La guerre de
France ne se décidait pas. On s’était contenté, vers la fin de l’année
précédente, et comme pour confirmer par un acte belliqueux le défi de la tour
de Nesle, de prendre une petite île appartenant au comte de Flandre, au large
de Bruges et de l’Écluse. Les Français, en retour, étaient venus brûler
quelques bourgs côtiers du sud de l’Angleterre. Aussitôt, à cette guerre non
débutée, le pape avait imposé une trêve, et des deux côtés on y avait consenti,
pour d’étranges motifs.
Philippe VI, tout en ne
parvenant pas à prendre au sérieux les prétentions d’Édouard à la couronne de
France, avait toutefois été fort impressionné par un avis de son oncle, le roi
Robert de Naples. Ce prince, érudit au point d’en devenir pédant, et l’un des
deux seuls souverains du monde, avec un porphyrogénète byzantin, à jamais avoir
mérité le surnom d’« Astrologue », venait de se pencher sur les cieux
respectifs d’Édouard et de Philippe ; ce qu’il y avait lu l’avait assez
frappé pour qu’il prît la peine d’écrire au roi de France « d’éviter de se
combattre jamais au roi anglais, pour ce que celui-ci serait trop fortuné en
toutes les besognes qu’il entreprendrait ». Pareilles prédictions vous
nouent un peu l’âme, et, si grand tournoyeur qu’on soit, on hésite avant de
rompre des lances contre les étoiles.
Édouard III, de son côté,
semblait un peu effrayé de sa propre audace. L’aventure dans laquelle il
s’était lancé pouvait paraître, à bien des égards, démesurée. Il craignait que
son armée ne fût pas assez nombreuse ni suffisamment entraînée ; il
dépêchait vers les Flandres et l’Allemagne ambassade sur ambassade afin de
renforcer sa coalition. Henry Tors-Col, quasi aveugle maintenant, l’exhortait à
la prudence, tout au contraire de Robert
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