Le Lis et le Lion
Mino ; mais en vérité il est né en France, du roi Louis et
de la reine Clémence de Hongrie.
La ville fut mise par ce prêche dans
un tel émoi que le Conseil de la République se réunit sur l’heure au Municipio,
demanda à Fra Bartolomeo d’apporter les pièces, les examina, et, après une
grande délibération, décida de reconnaître Giannino comme roi de France. On
allait l’aider à recouvrer son royaume ; on allait nommer un conseil de
six d’entre les citoyens les plus avisés et les plus riches pour veiller à ses
intérêts, et informer le pape, l’Empereur, les souverains, le Parlement de
Paris, qu’il existait un fils de Louis X, honteusement dépossédé mais
indiscutable, qui revendiquait son héritage. Et tout d’abord on lui vota une
garde d’honneur et une pension.
Giannino, effrayé de cette
agitation, commença par tout refuser. Mais le Conseil insistait ; le
Conseil brandissait devant lui ses propres documents et exigeait qu’il fût
convaincu. Il finit par raconter ses entrevues avec Cola de Rienzi, dont la
mort continuait de l’obséder, et alors l’enthousiasme ne connut pas de
limites ; les plus nobles des jeunes Siennois se disputaient l’honneur
d’être de sa garde ; on se serait presque battu entre quartiers, comme le
jour du Palio.
Cet empressement dura un petit mois,
pendant lequel Giannino parcourut sa ville avec un train de prince. Son épouse
ne savait trop quelle attitude adopter et se demandait si, simple bourgeoise,
elle pourrait être ointe à Reims. Quant aux enfants, ils étaient habillés toute
la semaine de leurs vêtements de fête. L’aîné du premier mariage, Gabriele,
devrait-il être considéré comme l’héritier du trône ? Gabriele Primo, roi
de France… cela sonnait étrangement. Ou bien… et la pauvre Francesca Agazzano
en tremblait… le pape ne serait-il pas forcé d’annuler un mariage si peu en
rapport avec l’auguste personne de l’époux, afin de permettre que celui-ci
contractât une nouvelle union avec une fille de roi ?
Négociants et banquiers furent vite
calmés par leurs correspondants. Les affaires n’étaient-elles pas assez
mauvaises en France, qu’il fallût y faire surgir un roi de plus ? Les
Bardi de Florence se moquaient bien de ce que le légitime souverain fût
siennois ! La France avait déjà un roi Valois, prisonnier à Londres où il
menait une captivité dorée, en l’hôtel de Savoie sur la Tamise, et se
consolait, en compagnie de jeunes écuyers, de l’assassinat de son cher La
Cerda. La France avait également un roi anglais qui commandait à la plus grande
part du pays. Et maintenant le nouveau roi de Navarre, petit-fils de Marguerite
de Bourgogne, qu’on appelait Charles le Mauvais, revendiquait lui aussi le
trône. Et tous étaient endettés auprès des banques italiennes… Ah ! les
Siennois étaient bien venus d’aller soutenir les prétentions de leur
Giannino !
Le Conseil de la République n’envoya
aucune lettre aux souverains, aucun ambassadeur au pape, aucune représentation
au Parlement de Paris. Et l’on retira bientôt à Giannino sa pension et sa garde
d’honneur.
Mais c’était lui, maintenant,
entraîné presque contre son gré dans cette aventure, qui voulait la poursuivre.
Il y allait de son honneur, et l’ambition, tardivement, le tourmentait. Il
n’admettait plus qu’on tînt pour rien qu’il eût été reçu au Capitole, qu’il eût
dormi au Château Saint-Ange et marché sur Rome en compagnie d’un cardinal. Il
s’était promené un mois avec une escorte de prince, et ne pouvait supporter
qu’on chuchotât, le dimanche, quand il entrait au Duomo dont on venait
d’achever la belle façade noire et blanche : « Vous savez, c’est lui
qui se disait héritier de France ! » Puisqu’on avait décidé qu’il
était roi, il continuerait de l’être. Et, tout seul, il écrivit au pape
Innocent VI, qui avait succédé en 1352 à Pierre Roger ; il écrivit au
roi d’Angleterre, au roi de Navarre, au roi de Hongrie, leur envoyant copie de
ses documents et leur demandant d’être rétabli dans ses droits. L’entreprise en
fût peut-être restée là si Louis de Hongrie, seul de tout le parentage, n’eût
répondu. Il était neveu direct de la reine Clémence ; dans sa lettre il
donnait à Giannino le titre de roi et le félicitait de sa naissance !
Alors, le 2 octobre 1357, trois ans
jour pour jour après sa première entrevue avec Cola de Rienzi,
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