Le Lis et le Lion
Giannino,
emportant avec lui tout son dossier, ainsi que deux cent cinquante écus d’or et
deux mille six cents ducats cousus dans ses vêtements, partit pour Bude, pour
demander protection à ce cousin lointain qui acceptait de le reconnaître. Il
était accompagné de quatre écuyers fidèles à sa fortune.
Mais quand il arriva à Bude, deux
mois plus tard, Louis de Hongrie ne s’y trouvait pas. Tout l’hiver, Giannino
attendit, dépensant ses ducats. Il découvrit là un Siennois, Francesco del
Contado, qui était devenu évêque.
Enfin, au mois de mars, le cousin de
Hongrie rentra dans sa capitale, mais ne reçut pas Giovanni di Francia. Il le
fit interroger par plusieurs de ses seigneurs qui se déclarèrent d’abord
convaincus de sa légitimité, puis, huit jours plus tard, faisant volte-face,
affirmèrent que ses prétentions n’étaient qu’imposture. Giannino protesta ;
il refusait de quitter la Hongrie. Il se constitua un conseil, présidé par
l’évêque siennois ; il parvint même à recruter, parmi l’imaginative
noblesse hongroise toujours prête aux aventures, cinquante-six gentilshommes
qui s’engagèrent à le suivre avec mille cavaliers et quatre mille archers,
poussant leur aveugle générosité jusqu’à offrir de le servir à leurs frais
aussi longtemps qu’il ne serait pas en état de les récompenser.
Encore leur fallait-il, pour
s’équiper et partir, l’autorisation du roi de Hongrie. Celui-ci, qui se faisait
nommer « le Grand », mais ne paraissait pas briller par la rigueur de
jugement, voulut réexaminer lui-même les documents de Giannino, les approuva
comme authentiques, proclama qu’il allait fournir appuis et subsides à
l’entreprise, puis, la semaine suivante, annonça que, tout bien réfléchi, il
abandonnait ce projet.
Et pourtant le 15 mai 1359, l’évêque
Francesco del Contado remettait au prétendant une lettre datée du même jour,
scellée du sceau de Hongrie, par laquelle Louis le Grand « enfin éclairé
par le soleil de la vérité » certifiait que le seigneur Giannino di
Guccio, élevé dans la ville de Sienne, était bien issu de la famille royale de
ses ancêtres, et fils du roi Louis de France et de la reine Clémence de Hongrie,
d’heureuses mémoires. La lettre confirmait également que la divine Providence,
se servant du secours de la nourrice royale, avait voulu qu’un échange
substituât au jeune prince un autre enfant à la mort duquel Giannino devait son
salut. « Ainsi autrefois la Vierge Marie, fuyant en Egypte, sauvait son
enfant en laissant croire qu’il ne vivait plus… »
Toutefois l’évêque Francesco
conseillait au prétendant de partir au plus vite, avant que le roi de Hongrie
ne fût revenu sur sa décision, d’autant qu’on n’était pas absolument certain
que la lettre eût été dictée par lui, ni le sceau apposé par son ordre…
Le lendemain, Giannino quittait
Bude, sans avoir eu le temps de réunir toutes les troupes qui s’étaient
offertes à le servir, mais néanmoins avec une assez belle suite pour un prince
qui avait si peu de terres.
Giovanni di Francia se rendit alors
à Venise où il se fit tailler des habits royaux, puis à Trévise, à Padoue, à
Ferrare, à Bologne, et enfin il rentra à Sienne, après un voyage de seize mois,
pour se présenter aux élections du Conseil de la République.
Or, bien que son nom fût sorti le
troisième des boules, le Conseil invalida son élection, justement parce qu’il
était le fils de Louis X, justement parce qu’il était reconnu comme tel
par le roi de Hongrie, justement parce qu’il n’était pas de la ville. Et on lui
ôta la citoyenneté siennoise.
Vint à passer par la Toscane le
grand sénéchal du royaume de Naples, qui se rendait en Avignon. Giannino
s’empressa de l’aller trouver ; Naples n’était-elle pas le berceau de sa
famille maternelle ? Le sénéchal, prudent, lui conseilla de s’adresser au
pape.
Sans escorte cette fois, les nobles
hongrois s’étant lassés, il arriva au printemps 1360 dans la cité papale, en
simple habit de pèlerin. Innocent VI refusa obstinément de le recevoir. La
France causait au Saint-Père trop de tracas pour qu’il songeât à s’occuper de
cet étrange roi posthume.
Jean II le Bon était toujours
prisonnier ; Paris demeurait marqué par l’insurrection où le prévôt des
marchands, Étienne Marcel, avait péri assassiné après sa tentative d’établir un
pouvoir populaire.
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