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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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yeux se dirigeaient souvent vers les fenêtres
ouvertes ; on eût dit qu’il épiait la ville.
    — … Giannino s’est
présenté devant nous, à notre invitation, le jeudi 2 octobre. Avant de lui
parler de ce que nous avions à lui dire, nous lui avons demandé ce qu’il était,
sa condition, son nom, celui de son père, et toutes les choses qui le
concernaient. D’après ce qu’il nous a répondu, nous avons trouvé que ses
paroles s’accordaient avec ce que disaient les lettres du Frère Antoine ;
ce que voyant, nous lui avons respectueusement révélé tout ce que nous avions
appris. Mais comme nous savons qu’un mouvement se prépare à Rome contre nous…
    Giannino eut un sursaut.
Comment ! Cola de Rienzi, si puissant qu’il parlait d’envoyer des
ambassadeurs au pape et à tous les princes du monde, redoutait… Il leva le
regard vers le tribun ; celui-ci confirma, en abaissant lentement les
paupières sur ses yeux clairs ; sa narine droite tremblait.
    — Les Colonna, dit-il
sombrement. Puis il se remit à dicter :
    — … Comme nous craignons
de périr avant de lui avoir donné quelque appui ou quelque moyen pour recouvrer
son royaume, nous avons fait copier toutes ces lettres et les lui avons remises
en main propre, le samedi 4 octobre 1354, les ayant scellées de notre sceau
marqué de la grande étoile entourée de huit petites, avec le petit cercle au
milieu, ainsi que des armes de la Sainte Église et du peuple romain, pour que
les vérités qu’elles contiennent en reçoivent une garantie plus grande et pour
qu’elles soient connues de tous les fidèles. Puisse Notre Très Pieux et Très
Gracieux Seigneur Jésus-Christ nous accorder une vie assez longue pour qu’il
nous soit donné de voir triomphante en ce monde une aussi juste cause. Amen,
amen !
    Quand ceci fut fait, Rienzi
s’approcha de la fenêtre ouverte et, prenant Jean I er par
l’épaule d’un geste presque paternel, il lui montra, à cent pieds plus bas, le
grand désordre de ruines du forum antique, les arcs de triomphe et les temples
écroulés. Le soleil couchant teintait d’or rose cette fabuleuse carrière où
Vandales et papes s’étaient fournis de marbre pendant près de dix siècles, et
qui n’était pas encore épuisée. Du temple de Jupiter, on apercevait la maison
des Vestales, le laurier qui croissait au temple de Vénus…
    — C’est là, dit le tribun
désignant la place de l’ancienne Curie romaine, c’est là-bas que César fut
assassiné… Voulez-vous me rendre un très grand service, mon noble
Seigneur ? Nul ne vous connaît encore, nul ne sait qui vous êtes, et vous
pouvez cheminer en paix comme un simple bourgeois de Sienne. Je veux vous aider
de tout mon pouvoir ; encore faut-il pour cela que je sois vivant. Je sais
qu’une conspiration se trame contre moi. Je sais que mes ennemis veulent mettre
fin à mes jours. Je sais qu’on surveille les messagers que j’envoie hors de
Rome. Partez pour Montefiascone, présentez-vous de ma part au cardinal Albornoz,
et dites-lui de m’envoyer des troupes, avec la plus grande urgence.
    Dans quelle aventure Giannino se
trouvait-il, en si peu d’heures, engagé ? Revendiquer le trône de
France ! Et à peine était-il Prince prétendant, partir en émissaire du
tribun pour lui chercher du secours. Il n’avait dit oui à rien, et à rien ne
pouvait dire non.
    Le lendemain 5 octobre, après une
course de douze heures il parvenait à ce même Montefiascone qu’il avait
traversé, médisant si fort de la France et des Français, cinq jours plus tôt.
Il parla au cardinal Albornez qui aussitôt décida de marcher sur Rome avec les
soldats dont il disposait ; mais il était déjà trop tard. Le mardi 7
octobre, Cola de Rienzi était assassiné.
     

IV

LE ROI POSTHUME
    Et Giovanni di Francia rentra à Sienne,
y reprit son commerce de banque et de laines, et pendant deux ans se tint coi.
Simplement, il se regardait souvent dans les miroirs. Il ne s’endormait pas
sans penser qu’il était le fils de la reine Clémence de Hongrie, le parent des
souverains de Naples, l’arrière-petit-fils de Saint Louis. Mais il n’avait pas
une immense audace de cœur ; on ne sort pas brusquement de Sienne, à
quarante ans, pour crier : « Je suis le roi de France », sans
risquer d’être pris pour un fou. L’assassinat de Cola de Rienzi, son protecteur
de trois jours, l’avait fait sérieusement réfléchir. Et d’abord, qui serait-il
allé

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