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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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duchesse de Bourgogne, tout
comme le duc Eudes, son époux. On eût dit qu’ils allaient s’élancer pour
retenir Mahaut de jurer. Toutes les têtes se tendaient, dans un grand silence.
    — J’accepte ! dirent d’une
même voix et Mahaut et Robert.
    — Dégantez-vous, leur dit
l’évêque d’Amiens.
    Mahaut portait des gants verts, que
la chaleur avait également fait déteindre. Si bien que les deux mains énormes
qui se tendirent au-dessus du Saint Livre étaient l’une rouge comme le sang et
l’autre verte comme le fiel.
    — Je jure, prononça Robert, que
la comté d’Artois est mienne et que je produirai lettres et témoignages qui
établiront mes droits et possessions.
    — Mon beau neveu, s’écria
Mahaut, osez-vous jurer que telles lettres vous les avez jamais vues ou
possédées ?
    Yeux gris dans yeux gris, mentons
carrés chargés de graisse, et presque visage contre visage, ils se défiaient.
« Gueuse, pensa Robert, c’est donc bien toi qui les as volées. » Et
comme, en de telles circonstances, il faut être déterminé, il répondit
clairement :
    — Oui, je le jure. Mais vous,
ma belle tante, osez-vous jurer que telles lettres n’ont point existé, et que
vous n’en avez jamais eu connaissance ni possession en vos mains ?
    — J’en fais serment,
répondit-elle avec une égale détermination et en regardant Robert avec une
égale haine.
    Aucun d’eux n’avait pu vraiment
marquer un point sur l’autre. La balance demeurait immobile, avec, dans chaque plateau,
le poids du faux serment qu’ils s’étaient obligés mutuellement à prononcer.
    — Dès demain, commissaires
seront nommés pour mener enquête et éclairer ma justice. Qui a menti sera
châtié par Dieu ; qui a dit vrai sera établi dans son droit, dit Philippe
en faisant signe à l’évêque d’emporter l’Évangile.
    Dieu n’est pas obligé d’intervenir
directement pour punir le parjure, et le Ciel peut rester muet. Les mauvaises
âmes recèlent en elles-mêmes la suffisante semence de leur propre malheur.
     

DEUXIÈME PARTIE

LES JEUX DU DIABLE
     

I

LES TÉMOINS
    Toute jeunette, et pas plus grosse
encore que le pouce, une poire pendait hors de l’espalier.
    Sur le banc de pierre, trois
personnages étaient assis ; le vieux comte de Bouville, au centre, qu’on
interrogeait, et, à sa droite, le chevalier de Villebresme, commissaire du roi,
et de l’autre côté le notaire Pierre Tesson qui prenait la déposition par
écrit.
    Le notaire Tesson portait bonnet de
clerc sur un énorme crâne en dôme d’où tombaient des cheveux plats ; il avait
le nez pointu, le menton exagérément long et effilé, et son profil faisait
penser au premier quartier de la lune.
    — Monseigneur, dit-il avec
grand respect, puis-je à présent vous lire votre témoignage ?
    — Faites, messire, faites,
répondit Bouville.
    Et sa main se dirigea, tâtonnante,
vers le petit fruit vert dont il éprouva la dureté. « Le jardinier aurait
dû veiller à rattacher la branche », pensa-t-il.
    Le notaire se pencha vers
l’écritoire posée sur ses genoux et commença :
    — Le dix-septième jour du mois
de juin de l’an 1329 nous, Pierre de Villebresme, chevalier…
    Le roi Philippe VI n’avait pas
laissé les choses traîner. Deux jours après l’esclandre d’Amiens et les
serments prononcés dans la cathédrale, il avait nommé une commission pour
instruire l’affaire ; et moins d’une semaine après le retour de la cour à
Paris, l’enquête était déjà commencée.
    — … et nous, Pierre
Tesson, notaire du roi, sommes venus ouïr…
    — Maître Tesson, dit Bouville,
êtes-vous le même Tesson qui se trouvait précédemment attaché à l’hôtel de
Monseigneur Robert d’Artois ?
    — Le même, Monseigneur…
    — Et à présent vous voici
notaire du roi ? Fort bien, fort bien, je vous en complimente…
    Bouville se redressa un peu, croisa
les mains par-dessus son ventre rond. Il était vêtu d’une vieille robe de
velours, trop longue et démodée, comme on en portait au temps de Philippe le
Bel, et qu’il usait dans son jardin.
    Il se tournait les pouces, trois
fois dans un sens, trois fois dans l’autre. La journée serait belle et chaude,
mais la matinée gardait encore quelque trace des fraîcheurs de la nuit…
    — … sommes venus ouïr haut
et puissant seigneur le comte Hugues de Bouville, et l’avons entendu en le
verger de son hôtel sis non loin le

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