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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’en parler. Et puis, que ces enquêteurs s’en
aillent, au plus vite !
    — Vous avez raison, laissez ce
que vous avez écrit, dit-il. Où dois-je signer ?
    Le notaire tendit la plume à
Bouville. Celui-ci distinguait mal le bord du papier. Son paraphe sortit un peu
de la feuille. On l’entendit encore marmonner :
    — Dieu finira bien par lui
faire expier ses fautes, avant de la remettre à la garde du diable.
    Un peu de poudre à sécher fut
répandue sur sa signature. Le notaire replaça feuilles et écritoire dans son
sac de cuir noir ; puis les deux enquêteurs se levèrent pour prendre
congé. Bouville les salua de la main sans se lever. Ils n’avaient pas fait cinq
pas qu’ils n’étaient plus pour lui que deux ombres vagues se dissolvant
derrière le mur d’eau.
    L’ancien chambellan agita une
clochette posée à côté de lui, pour réclamer son lait caillé. Diverses pensées
le tracassaient. Comment son maître vénéré, le roi Philippe le Bel, au rendu de
son jugement pour l’Artois, avait-il pu oublier l’acte qu’il avait auparavant
ratifié, comment ne s’était-il pas soucié de la disparition de cette
pièce ? Ah ! les meilleurs rois ne commettent pas seulement de belles
actions…
    Bouville se disait aussi qu’il irait
un prochain jour faire visite au banquier Tolomei, afin de s’informer de Guccio
Baglioni… et de l’enfant… mais sans insister, comme par une politesse de
conversation. Le vieux Tolomei ne bougeait presque plus de son lit. C’étaient
les jambes, chez lui, qui étaient prises. La vie s’en va ainsi ; pour l’un
c’est l’oreille qui se ferme, pour l’autre les yeux qui s’éteignent, ou les
membres qui cessent de se mouvoir. On compte le passé en années, mais on n’ose
plus penser l’avenir qu’en mois ou en semaines.
    « Vivrai-je encore quand ce
fruit sera mûr, et le pourrai-je cueillir ? » songeait le comte de
Bouville en regardant la poire de l’espalier.
     
    Messire Pierre de Machaut, seigneur
de Montargis, était un homme qui ne pardonnait jamais les injures, même aux
morts. Le trépas de ses ennemis ne suffisait pas à apaiser ses ressentiments.
    Son père, pourvu d’un haut emploi au
temps du Roi de fer, en avait été destitué par Enguerrand de Marigny, et la
fortune de la famille en avait grandement souffert. La chute du tout-puissant
Enguerrand avait été pour Pierre de Machaut une revanche personnelle ; le
grand jour de sa vie restait celui où, comme écuyer du roi Louis Hutin, il
avait conduit Monseigneur de Marigny au gibet. Conduit, c’était manière de
dire ; accompagné, plutôt, et pas au premier rang, mais parmi nombre de
dignitaires plus importants que lui. Toutefois, les années passant, ces
seigneurs l’un après l’autre étaient décédés, ce qui permettait à messire
Pierre de Machaut, chaque fois qu’il racontait ce trajet mémorable, de
s’avancer d’une place dans la hiérarchie du cortège.
    D’abord il s’était contenté d’avoir
défié des yeux messire Enguerrand debout sur sa charrette et de lui avoir bien
prouvé par son visage que quiconque nuisait aux Machaut, si élevé fût-il,
bientôt en recueillait malheur.
    Ensuite, le souvenir embellissant
les choses, il assurait que Marigny, pendant cette ultime promenade, non
seulement l’avait reconnu mais encore s’était adressé à lui en disant tristement :
    — Ah ! c’est vous,
Machaut ! Vous triomphez à présent ; je vous ai nui, je m’en repens.
    Aujourd’hui, après quatorze ans
écoulés, il semblait qu’Enguerrand de Marigny allant à son supplice n’ait eu de
paroles que pour Pierre de Machaut et, de la prison jusqu’à Montfaucon, ne lui
eût rien celé de l’état de sa conscience.
    Petit, les sourcils gris joints
au-dessus du nez, la jambe raidie par une mauvaise chute en tournoi, Pierre de
Machaut continuait de faire soigneusement graisser des cuirasses qu’il n’endosserait
plus jamais. Il était vaniteux autant que rancunier, et Robert d’Artois le
savait bien qui avait pris la peine d’aller le visiter deux fois pour qu’il lui
parlât justement de cette fameuse chevauchée auprès de la charrette de messire
Enguerrand.
    — Eh bien ! contez donc
tout cela aux commissaires du roi qui viendront vous demander témoignage sur
mon affaire, avait dit Robert. Les avis d’un homme aussi preux que vous l’êtes
sont choses d’importance ; vous éclairerez le roi et vous acquerrez grande
gratitude de sa

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