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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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lui.
    — … et puisqu’à tous vous
devez votre justice, continua-t-il, justice je viens vous demander.
    — Monseigneur de Beaumont, mon
cousin, par qui vous a-t-il été fait tort ? demanda gravement
Philippe VI.
    — Il m’a été fait tort, Sire,
par votre vassale dame Mahaut de Bourgogne qui tient indûment, par cautèle et
félonie, les titres et possessions de la comté d’Artois qui me reviennent par
droits de mes pères.
    On entendit alors une voix presque
aussi forte s’écrier :
    — Allons, cela devait bien
arriver !
    C’était Mahaut d’Artois qui venait
de parler.
    Il y avait eu quelques mouvements de
surprise dans l’assistance, mais non de stupeur. Robert agissait comme le comte
de Flandre l’avait fait le jour du sacre. Il semblait que l’usage s’établît à
présent, quand un pair se jugeait lésé, qu’il exprimât sa plainte en ces sortes
d’occasions solennelles, et avec, visiblement, l’accord préalable du roi.
    Le duc Eudes de Bourgogne
interrogeait du regard sa sœur la reine de France, laquelle lui répondait de
même, et par geste des mains ouvertes, pour lui faire comprendre qu’elle était
la première étonnée et ne se trouvait au courant de rien.
    — Mon cousin, dit Philippe,
pouvez-vous produire pièces et témoignages pour certifier votre droit ?
    — Je le puis, dit fermement
Robert.
    — Il ne le peut, il ment !
s’écria Mahaut qui quitta les stalles et vint rejoindre son neveu devant le
roi.
    Comme ils se ressemblaient, Robert
et Mahaut, sous leurs couronnes et leurs manteaux identiques, animés de la même
fureur, et le sang affluant à leurs encolures de taureau ! Mahaut portait,
elle aussi, le long de son flanc de géante guerrière, le grand glaive de pair
de France à garde d’or. Mère et fils, ils eussent sans doute moins sûrement
montré l’évidence de leur parenté.
    — Ma tante, dit Robert, niez-vous
donc que le traité de mariage du noble comte Philippe d’Artois, mon père, me
faisait, moi, son premier hoir à naître, héritier de l’Artois, et que vous avez
profité de mon enfance, quand mon père fut mort, pour me dépouiller ?
    — Je nie tout ce que vous
dites, méchant neveu qui me voulez honnir.
    — Niez-vous qu’il y ait eu
traité de mariage ?
    — Je le nie ! hurla
Mahaut.
    Alors un vaste murmure de
réprobation s’éleva de l’assistance, et même on entendit distinctement le vieux
comte de Bouville, ancien chambellan de Philippe le Bel, pousser un
« Oh ! » scandalisé. Sans que chacun eût les mêmes raisons que
Bouville, curateur au ventre de la reine Clémence lors de la naissance de Jean
I er le Posthume, de connaître les capacités de Mahaut dans le
mensonge et son aplomb dans le crime, il était flagrant qu’elle niait
l’évidence. Un mariage entre un fils d’Artois, prince à la fleur de lis [10] ,
et une fille de Bretagne n’avait pu se conclure sans un contrat ratifié par les
pairs de l’époque et par le roi. Le duc Jean de Bretagne le disait à ses
voisins. Cette fois Mahaut passait les bornes. Qu’elle continuât, comme elle
l’avait fait dans ses deux procès, d’exciper de la vieille coutume d’Artois,
laquelle jouait en sa faveur par suite du décès prématuré de son frère,
soit ! mais non de nier qu’il y ait eu contrat. Elle confirmait tous les
soupçons, et d’abord celui d’avoir fait disparaître les pièces.
    Philippe VI s’adressa à
l’évêque d’Amiens.
    — Monseigneur, veuillez porter
jusqu’à nous les Saints évangiles et les présenter au plaignant…
    Il prit un temps et ajouta :
    — … ainsi qu’à la
défenderesse.
    Et quand ce fut fait :
    — Acceptez-vous l’un comme
l’autre, mon cousin, ma cousine, d’assurer vos dires par serment prononcé sur
les Très Saints Évangiles de la Foi, par-devant nous, votre suzerain, et les
rois nos parents, et tous vos pairs ici assemblés ?
    Il était vraiment majestueux,
Philippe, en prononçant cela, et son fils, le jeune prince Jean, âgé de dix
ans, le considérait les yeux écarquillés, le menton un peu pendant, avec une
admiration éperdue. Mais la reine de France, Jeanne la Boiteuse, avait un
mauvais pli cruel de chaque côté de la bouche, et ses doigts tremblaient. La
fille de Mahaut, Jeanne la Veuve, l’épouse de Philippe le Long, mince et sèche,
était devenue aussi blanche de visage que sa blanche robe de reine douairière.
Et blême aussi, la petite-fille de Mahaut, la jeune

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