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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Pré-aux-Clercs…
    — Comme le voisinage a changé
depuis que mon père a fait construire cette demeure, dit Bouville. En ce
temps-là, depuis l’abbaye Saint-Germain-des-Prés jusqu’à Saint-André-des-Arts,
il n’y avait guère que trois hôtels : celui de Nesle, sur le bord de la
rivière, celui de Navarre, en retrait, et le second séjour des comtes d’Artois
qui leur servait de campagne, car autour ce n’étaient encore que prés et
champs… Et voyez à présent comme tout s’est bâti !… Toutes les fortunes
neuves ont voulu s’établir de ce côté ; les chemins sont devenus des rues.
Jadis, par-dessus mon mur, je ne voyais que des herbages ; et maintenant,
par le peu de lumière que mes yeux ont encore, je n’aperçois que des toits. Et
le bruit ! Le bruit qui se fait dans ce quartier ! On se croirait
tout juste au cœur de la Cité. Si j’avais encore un peu d’âge devant moi, je
vendrais cette maison et ferais bâtir ailleurs. Mais en est-il seulement
question…
    Et sa main s’éleva de nouveau,
hésitante, vers la petite poire verte au-dessus de lui. Attendre la maturité
d’un fruit, c’était bien tout le temps d’espérance auquel il osait encore
prétendre, et le plus long projet qu’il s’autorisât. Il perdait la vue depuis
de nombreux mois déjà. Le monde, les êtres, les arbres ne lui apparaissaient
plus que comme au travers d’un mur d’eau. On a été actif et important, on a
voyagé, siégé aux conseils royaux et participé à de grands événements ; et
l’on finit dans son jardin, la pensée ralentie et la vue brouillée, seul et
presque oublié, sauf lorsque les gens plus jeunes ont à faire appel à vos
souvenirs…
    Maître Pierre Tesson et le chevalier
de Villebresme échangèrent un regard de lassitude. Ah ! ce n’était pas un
témoin aisé que le vieux comte de Bouville dont le propos s’égarait sans cesse
sur des banalités vagues ; or il était homme trop noble et trop vieux pour
qu’on pût le brusquer.
    Le notaire reprit :
    — … lequel nous a déclaré,
de sa voix, les choses ci-après écrites, à savoir : que lorsqu’il était
chambellan de notre Sire Philippe le Bel avant que celui-ci ne devînt roi, il
eut connaissance du traité de mariage conclu entre feu Monseigneur Philippe
d’Artois et Madame Blanche de Bretagne, et qu’il eut ledit traité entre les
mains, et qu’audit traité il était précisément inscrit que la comté d’Artois
irait par droit d’héritage audit Monseigneur Philippe d’Artois et, après lui, à
ses hoirs mâles, issus dudit mariage…
    Bouville agita la main :
    — Je n’ai point assuré cela.
J’ai eu le traité en mains, comme je vous l’ai dit et comme je l’ai indiqué à
Monseigneur Robert d’Artois lui-même quand il m’est venu visiter l’autre jour,
mais je n’ai point souvenance, en toute conscience, de l’avoir lu.
    — Et pourquoi, Monseigneur,
auriez-vous tenu ce traité devers vous, si ce n’était point pour le lire ?
demanda le sire de Villebresme.
    — Pour le porter au chancelier
de mon maître, afin qu’il le scellât, car le traité fut revêtu, cela je m’en
souviens bien, du sceau de tous les pairs dont mon maître Philippe le Bel
était, en tant que premier fils de la couronne.
    — Ceci est à noter, Tesson, dit
Villebresme. Tous les pairs ont apposé leur sceau… Sans même avoir lu la pièce,
Monseigneur, vous saviez bien que l’héritage d’Artois y était assuré au comte
Philippe et à ses hoirs mâles ?
    — Je l’ai ouï dire, répondit
Bouville, et ne puis rien certifier d’autre.
    La manière qu’avait ce jeune
Villebresme de lui faire déclarer plus qu’il ne voulait l’irritait un peu. Il
n’était pas né, ce garçon, et son père était encore bien loin de l’engendrer,
quand s’étaient passés les faits sur lesquels il enquêtait ! Les voilà
bien, ces petits officiers royaux, tout gonflés de leur charge neuve. Un jour
ils se retrouveraient, eux aussi, vieux et seuls, contre l’espalier de leur
jardin… Oui, Bouville se souvenait de ces choses inscrites au traité de mariage
de Philippe d’Artois. Mais quand en avait-il entendu parler pour la première
fois ? Au moment du mariage même, en 1282, ou bien quand le comte Philippe
était mort, en 98, de ses blessures reçues à la bataille de Fumes ? Ou
bien encore après que le vieux comte Robert II eut été tué à la bataille
de Courtrai, en 1302, ayant survécu de quatre

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