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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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armes somptueuses, et de lourdes torchères de fer
doré meublaient la pièce.
    Robert se leva de son grand siège et
rendit au notaire les minutes des dépositions qu’il venait de parcourir.
    — Fort bien, fort bonnes
pièces, déclara-t-il, surtout le dire du sire de Machaut qui paraît très
spontané, et complète tout à propos celui du comte de Bouville. Décidément vous
êtes habile homme, maître Tesson de la Chicane, et je ne regrette point de vous
avoir élevé là où vous êtes. Sous votre face de Carême jeûné, il se cache plus
d’astuce que dans la tête creuse de bien des maîtres au Parlement. Il faut
reconnaître que Dieu vous a doté d’assez de place pour loger votre cervelle.
    Le notaire eut un sourire obséquieux
et inclina son crâne démesuré, coiffé du bonnet qui ressemblait à un énorme
chou noir. Les compliments moqueurs de Monseigneur d’Artois dissimulaient
peut-être quelque promesse d’avancement.
    — Est-ce là toute la
récolte ? Avez-vous d’autres nouvelles à me donner pour ce jour ?
ajouta Robert. Où en sommes-nous avec l’ancien bailli de Béthune ?
    La procédure est une passion, comme
le jeu. Robert d’Artois ne vivait plus que pour son procès, ne pensait,
n’agissait qu’en fonction de sa cause. Cette quinzaine-là, la seule affaire de
son existence était de se procurer des témoignages. Son esprit y travaillait de
l’aube au soir, et même la nuit il se réveillait, tiré du rêve par une
inspiration soudaine, pour sonner son valet Lormet qui arrivait tout somnolent
et rechignant, et lui demander :
    — Vieux ronfleur, ne m’as-tu
pas parlé l’autre jour d’un certain Simon Dourin ou Dourier, qui fut clerc de
plume chez mon grand-père ? Sais-tu si l’homme vit toujours ? Tâche
demain à t’en enquérir.
    À la messe, qu’il entendait chaque
jour par convenance, il se surprenait à prier Dieu pour le succès de son
procès. De la prière, il revenait tout naturellement à ses machinations, et se
disait, pendant l’Évangile :
    « Mais ce Gilles Flamand, qui
fut autrefois écuyer de Mahaut et qu’elle a chassé pour quelque méfait… Voilà
un homme, peut-être, qui pourrait témoigner pour moi. Il ne faut pas que
j’oublie cela. »
    On ne l’avait jamais vu plus assidu
aux travaux du Conseil ; il passait chaque jour plusieurs heures au Palais
et donnait l’impression de s’employer ferme aux tâches du royaume ; mais
c’était seulement pour garder prise sur son beau-frère Philippe VI, se
rendre indispensable et veiller à ce qu’on ne nommât aux emplois que des gens
de son choix. Il suivait de fort près les arrêts de justice afin d’y puiser
l’idée de quelque manœuvre. De tout le reste, il se moquait.
    Qu’en Italie Guelfes et Gibelins
continuassent à s’entre-déchirer, qu’Azzo Visconti ait fait assassiner son
oncle Marco et barricadé la ville de Milan contre les troupes de l’empereur
Louis de Bavière, tandis qu’en revanche Vérone, Vicence, Padoue, Trévise, se
soustrayaient à l’autorité du pape protégé par la France, Monseigneur d’Artois
le savait, l’entendait, mais n’y songeait qu’à peine.
    Qu’en Angleterre le parti de la
reine se trouvât en difficulté, et que l’impopularité de Roger Mortimer devînt
chaque jour plus grande, Monseigneur d’Artois haussait les épaules.
L’Angleterre, ces jours-là, ne l’intéressait pas, non plus que les lainiers des
Flandres qui, pour les avantages de leur commerce, multipliaient les ententes
avec les compagnies anglaises.
    Mais que maître Andrieu de Florence,
chanoine-trésorier de Bourges, fût pourvu d’un nouveau bénéfice ecclésiastique,
ou que le chevalier de Villebresme passât à la Chambre aux deniers, ah !
voilà qui était chose importante et ne pouvait supporter sursis ! C’est
que maître Andrieu, avec le sire de Villebresme, était des huit commissaires
nommés pour instruire le procès d’Artois.
    Ces commissaires, Robert les avait
désignés à Philippe VI et pratiquement choisis… « Si l’on prenait
Bouchait de Montmorency ? Il nous a toujours loyalement servis… Si l’on
prenait Pierre de Cugnières ? Voilà un homme avisé que chacun s’accorde à
respecter… » De même pour les notaires, dont ce Pierre Tesson depuis vingt
ans attaché d’abord à l’hôtel de Valois, puis à la maison de Robert.
    Jamais Pierre Tesson ne s’était
senti si important ; jamais il n’avait été traité avec tant

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