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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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chevaucheurs à la livrée de Bourgogne…
    Mahaut cherchait à resserrer ses
liens avec le duc Eudes, c’était chose bien claire. Or le parti de Bourgogne
disposait à la cour de l’appui de la reine.
    — Oui, mais moi j’ai le roi,
dit Robert. La gueuse perdra, Tesson, je vous l’affirme.
    — Il faudrait quand même
produire les pièces, Monseigneur, parce que sans pièces… À des dires on peut
toujours opposer d’autres dires… Le plus tôt sera le mieux.
    Il avait de personnelles raisons
pour insister. À inspirer tant de témoignages, voire à les extorquer par achat
ou menaces, un notaire peut faire sa fortune, mais il risque aussi le Châtelet,
et même la roue… Tesson ne souhaitait guère prendre la place de l’ancien bailli
de Béthune.
    — Elles viennent, vos pièces,
elles viennent ! Elles arrivent, je vous le dis ! Croyez-vous que ce
soit si facile de les obtenir ?… À propos, Tesson, dit soudain Robert en
désignant de l’index le sac de cuir noir, vous avez noté dans le témoignage du
comte de Bouville que le traité de mariage avait été scellé par les douze
pairs. Pourquoi avez-vous noté cela ?
    — Parce que le témoin l’a dit,
Monseigneur.
    — Ah oui… C’est très important,
dit Robert songeur.
    — Pourquoi donc,
Monseigneur ?
    — Pourquoi ? Parce que
j’attends l’autre copie du traité, celle des registres d’Artois, qui doit
m’être remise… et pour fort cher, d’ailleurs… Si les noms des douze pairs n’y
figuraient pas, la pièce ne serait point bonne. Quels étaient les pairs en ce
temps-là ? Pour les ducs et comtes, c’est chose facile ; mais les
pairs d’Église, quels étaient-ils ? Voyez comme il faut être attentif à
tout ?
    Le notaire regarda Robert avec un
mélange d’inquiétude et d’admiration.
    — Savez-vous, Monseigneur, que
si vous n’aviez pas été si grand sire, vous eussiez fait le meilleur notaire
qui soit au royaume ? Sans offense, je dis cela sans offense,
Monseigneur !
    Robert sonna pour qu’on raccompagnât
son visiteur.
    À peine le notaire se fut-il retiré
que Robert sortit par une petite porte ménagée entre les hanches de la
Madeleine – un jeu de décoration qui l’amusait fort – et courut à la
chambre de son épouse. En ayant chassé les dames de parage, il dit :
    — Jeanne, ma bonne amie, ma
chère comtesse, faites savoir à la Divion d’interrompre l’écriture du traité de
mariage : il y faut le nom des douze pairs de l’an 82. Les
savez-vous ? Eh bien, moi non plus ! Où peut-on se les procurer sans
donner l’éveil ? Ah ! que de temps perdu ! Que de temps
perdu !
    La comtesse de Beaumont, de ses
beaux yeux bleus limpides, contemplait son mari ; un vague sourire
éclairait son visage. Son géant avait encore trouvé quelque motif d’agitation.
Très calmement elle dit :
    — À Saint-Denis, mon doux ami,
à Saint-Denis, aux registres de l’abbaye. Nous y relèverons sûrement les noms
des pairs. Je vais y envoyer Frère Henry, mon confesseur, comme s’il voulait
faire quelque recherche savante…
    Une expression de tendresse amusée,
de gratitude joyeuse, passa sur le large visage de Robert.
    — Savez-vous, ma mie, dit-il en
s’inclinant avec une grâce pesante, que si vous n’étiez pas si haute dame, vous
eussiez fait le meilleur notaire du royaume ?
    Ils se sourirent, et dans les yeux
de Robert la comtesse de Beaumont, née Jeanne de Valois, lut la promesse qu’il
visiterait son lit le soir.
     

III

LES FAUSSAIRES
    On croit toujours, lorsqu’on s’engage
sur le chemin du mensonge, que le trajet sera court et facile ; on
franchit aisément et même avec un certain plaisir les premiers obstacles ;
mais bientôt la forêt s’épaissit, la route s’efface, se ramifie en sentiers qui
vont se perdre dans les marécages ; chaque pas bute, s’enfonce ou
s’enlise ; on s’irrite ; on se dépense en démarches vaines dont
chacune constitue une nouvelle imprudence.
    À première vue, rien de plus simple
que de contrefaire un vieux document. Une feuille de vélin jaunie au soleil et
usée dans la cendre, la main d’un clerc soudoyé, quelques sceaux appliqués sur
des lacets de soie : voilà qui ne semble requérir que peu de temps et des
dépenses modiques.
    Pourtant, Robert d’Artois avait dû
renoncer, provisoirement, à faire reconstituer le contrat de mariage de son
père. Et cela, non seulement à cause de la recherche du nom des douze

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