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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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part comme de la mienne. Vous a-t-on jamais pensionné pour les
services que votre père et vous-même rendîtes au royaume ?
    — Jamais.
    Quelle injustice ! Alors que
tant d’intrigants, de bourgeois, de parvenus, s’étaient fait mettre pendant les
derniers règnes sur la liste des dons de la cour, comment avait-on pu oublier
un homme d’aussi grande vertu que messire de Machaut ? Oubli volontaire, à
n’en pas douter, et inspiré par la comtesse Mahaut qui avait toujours eu partie
liée avec Enguerrand de Marigny !
    Robert d’Artois veillerait
personnellement à ce que cette iniquité fût réparée.
    Si bien que lorsque le chevalier de
Villebresme, toujours flanqué du notaire Tesson, se présenta chez l’ancien
écuyer, celui-ci ne mit pas moins de zèle à répondre aux questions que le
commissaire à les poser.
    L’interrogatoire eut lieu dans un
jardin voisin, comme c’était l’usage de justice, les dépositions devant être
faites en lieu ouvert et à l’air libre.
    À entendre Pierre de Machaut, on eût
cru que l’exécution de Marigny s’était passée l’avant-veille.
    — Ainsi, disait Villebresme,
vous étiez, messire, devant la charrette quand le sire Enguerrand en fut
descendu auprès du gibet ?
    — Je suis monté dans la
charrette, répondit Machaut, et d’ordre du roi Louis X je demandai au
condamné de quelles fautes de gouvernement il voulait s’accuser avant de
comparaître devant Dieu.
    En réalité, c’était Thomas de
Marfontaine qui avait été chargé de cet office, mais Thomas de Marfontaine
était mort depuis longtemps…
    — Et Marigny continua de se
donner pour innocent de toutes les fautes qui lui avaient été reprochées
pendant son procès ; il reconnut néanmoins… ce sont ses propres paroles où
l’on retrouve bien sa fourberie… « Avoir pour des causes justes accompli
des actions injustes ». Alors je lui demandai quelles étaient ces actions,
et il m’en cita plusieurs, comme d’avoir destitué mon père, le sire de
Montargis, et aussi d’avoir soustrait aux registres royaux le traité de mariage
du feu comte d’Artois afin de servir l’intérêt de Madame Mahaut et de ses
filles, les brus du roi.
    — Ah ! c’est donc lui qui
fit accomplir ce retrait ? Il s’en est accusé ! s’écria Villebresme.
Voilà qui est important. Notez, Tesson, notez.
    Le notaire n’avait pas besoin de cet
encouragement et grattait son papier avec entrain. Le bon témoin que ce sire de
Machaut !
    — Et savez-vous, messire,
demanda Tesson prenant à son tour la parole, si le sire Enguerrand fut payé
pour cette forfaiture ?
    Machaut eut une légère hésitation et
ses sourcils gris se froncèrent.
    — Certes, il le fut,
répondit-il. Car je lui demandai encore s’il était vrai qu’il eût reçu, comme
on le disait, quarante mille livres de Madame Mahaut pour lui faire gagner son
procès devant le roi. Et Enguerrand baissa la tête en signe d’assentiment et de
grande honte, et il me répondit : « Messire de Machaut, priez Dieu
pour moi », ce qui était bien un aveu.
    Et Pierre de Machaut croisa les bras
d’un air de mépris triomphant.
    — À présent tout est bien
clair, dit Villebresme avec satisfaction.
    Le notaire transcrivait les derniers
points de la déposition.
    — Avez-vous entendu déjà
beaucoup de témoins ? demanda l’ancien écuyer.
    — Quatorze, messire, et il nous
en reste le double à entendre, dit Villebresme. Mais nous sommes huit
commissaires et deux notaires à nous partager la besogne.
     

II

LE PLAIDEUR CONDUIT L’ENQUÊTE
    Le cabinet de travail de Monseigneur
d’Artois était décoré de quatre grandes fresques pieuses, assez platement
peintes, où l’ocre et le bleu dominaient quatre figures de saints, « pour
inspirer confiance », disait le maître du lieu. À droite, saint Georges
terrassait le dragon ; en face, saint Maurice, autre patron des
chevaliers, se dressait en cuirasse et cotte azurée ; sur le mur du fond,
saint Pierre tirait de la mer ses inépuisables filets ; sainte Madeleine,
patronne des pécheresses, vêtue seulement de ses cheveux d’or, occupait la
dernière paroi. C’était surtout vers ce mur-là que Monseigneur Robert aimait à
porter les yeux.
    Les poutres du plafond étaient
pareillement peintes d’ocre, de jaune et de bleu, avec, de place en place, les
blasons d’Artois, de Beaumont et de Valois. Des tables couvertes de brocarts,
des coffres où traînaient des

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