Le Lis et le Lion
au premier enfant que lui donne la femme qu’il aime et dont il est
aimé. Du même coup, il se sentait, comme roi, brusquement mûri. Sa succession
était assurée. Le sentiment de la dynastie, de sa propre place entre ses
ancêtres et sa descendance, celle-ci toute fragile encore mais déjà présente
dans un berceau mousseux, occupait ses méditations et lui rendait de moins en
moins supportable l’incapacité juridique dans laquelle on le maintenait.
Toutefois, il était assailli de
scrupules ; rien ne sert de renverser une coterie dirigeante si l’on n’a
pas de meilleurs hommes pour la remplacer ni de meilleurs principes à
appliquer.
« Saurai-je vraiment régner, et
suis-je assez formé pour cela ? » se demandait-il souvent.
Son esprit demeurait marqué par le
détestable exemple qu’avait fourni son père, entièrement gouverné par les
Despensers, et l’exemple aussi détestable qu’offrait sa mère sous la domination
de Roger Mortimer.
Son inaction forcée lui permettait
d’observer et de réfléchir. Rien ne se pouvait faire au royaume sans le
Parlement, sans son accord spontané ou obtenu. L’importance prise ces dernières
années par cette assemblée de consultation, réunie de plus en plus fréquemment,
en tous lieux et à tous propos, était la conséquence de la mauvaise
administration, des expéditions militaires mal conduites, des désordres dans la
famille royale et de l’état de constante hostilité entre le pouvoir central et
la coalition des grands féodaux.
Il fallait faire cesser ces
déplacements ruineux où Lords et Communes devaient courir à Winchester, à
Salisbury, à York, et tenir des sessions qui n’avaient d’autre objet que de
permettre à Lord Mortimer de faire sentir sa férule au royaume.
« Quand je serai vraiment roi,
le Parlement siégera à dates régulières, et à Londres autant que se pourra…
L’armée ?… L’armée n’est point présentement l’armée du roi ; ce sont
des armées de barons qui n’obéissent que selon leur gré. Il faudrait une armée
recrutée pour le service du royaume, et commandée par des chefs qui ne tiennent
leur pouvoir que du roi… La justice ?… La justice demande d’être
concentrée dans la main souveraine qui doit s’efforcer de la faire égale pour
tous. Au royaume de France, quoi qu’on dise, l’ordre est plus grand. Il faut
aussi donner des ouvertures au commerce dont on se plaint qu’il soit ralenti
par les taxes et interdictions sur les cuirs et les laines qui sont notre
richesse. »
C’étaient là des idées qui pouvaient
paraître fort simples mais cessaient de l’être du fait qu’elles logeaient dans
une tête royale, des idées quasi révolutionnaires, en un temps d’anarchie,
d’arbitraire et de cruauté comme rarement nation en connut.
Le jeune souverain brimé rejoignait
ainsi les aspirations de son peuple opprimé. Il ne s’ouvrait de ses intentions
qu’à peu de personnes, à son épouse Philippa, à Guillaume de Mauny, l’écuyer
qu’elle avait amené de Hainaut avec elle, à Lord Montaigu surtout, qui lui
traduisait le sentiment des jeunes Lords.
C’est souvent à vingt ans qu’un
homme formule les quelques principes qu’il mettra toute une vie à appliquer.
Édouard III avait une qualité majeure pour un homme de pouvoir : il
était sans passions et sans vices. Il avait eu la chance d’épouser une
princesse qu’il aimait ; il avait la chance de continuer à l’aimer. Il
possédait cette forme suprême de l’orgueil qui consistait à tenir pour
naturelle sa position de roi. Il exigeait le respect de sa personne et de sa
fonction ; il méprisait la servilité parce qu’elle exclut la franchise. Il
détestait la pompe inutile, parce qu’elle insulte à la misère et qu’elle est le
contraire de la réelle majesté.
Les gens qui avaient séjourné
autrefois à la cour de France disaient qu’il ressemblait par beaucoup de traits
au roi Philippe le Bel ; on lui trouvait même forme et même pâleur de visage,
même froideur des yeux bleus quand parfois il relevait ses longs cils.
Édouard était plus communicatif et
enthousiaste, certes, que son grand-père maternel. Mais ceux qui parlaient
ainsi n’avaient connu le Roi de fer qu’en ses dernières années, à la fin d’un
long règne ; nul ne se rappelait ce qu’avait été Philippe le Bel à vingt
ans. Le sang de France, en Édouard III, l’avait emporté sur celui des
Plantagenets, et il
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