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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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a des manières de nier qui
sont comme des affirmations. Daverill eût-il fait tel mystère, eût-il montré
pareille inflexibilité, si ce n’avait pas été l’ancien roi, précisément, qu’il
gardait ?
    Edmond de Kent usa de son charme,
qui était grand, et d’autres arguments aussi auxquels la nature humaine n’est
pas toujours insensible. Il posa sur la table une lourde bourse d’or.
    — Je voudrais, dit-il, que ce
prisonnier fût bien traité. Ceci est pour améliorer son sort ; il y a là
cent livres esterlins.
    — Je puis vous assurer, my
Lord, qu’il est bien traité, dit Daverill à voix basse avec une nuance de
complicité.
    Et sans aucune gêne, il mit la main
sur la bourse.
    — Je donnerais volontiers le
double, dit Edmond de Kent, seulement pour l’apercevoir.
    Daverill eut une dénégation désolée.
    — Comprenez, my Lord, qu’il y a
en ce château deux cents archers de garde…
    Edmond de Kent se crut un grand
homme de guerre en notant intérieurement cette importante décision ; il
faudrait en tenir compte, pour l’évasion.
    — … et que si jamais l’un
d’eux parlait, que Madame la reine mère vînt à l’apprendre, elle me ferait
décapiter.
    Pouvait-on mieux se trahir, et
avouer ce qu’on prétendait cacher ?
    — Mais je puis faire passer un
message, reprit le gouverneur, car ceci restera entre vous et moi.
    Kent, heureux de voir si vite
avancer ses affaires, écrivit la lettre suivante, tandis que les rafales d’un
vent mouillé battaient les fenêtres de l’auberge :
    « Fidélité et respect à mon
très cher frère, s’il vous plaît. Je prie Dieu de tout cœur que vous soyez en
bonne santé car les dispositions sont prises pour que vous sortiez bientôt de
prison et soyez délivré des maux qui vous accablent. Soyez assuré que j’ai
l’appui des plus grands barons d’Angleterre et de toutes leurs forces,
c’est-à-dire leurs troupes et leurs trésors. De nouveau vous serez roi ;
prélats et barons l’ont juré sur l’Évangile. »
    Il tendit la feuille, simplement
pliée, au gouverneur.
    — Je vous prie de la sceller,
my Lord, dit celui-ci ; je ne veux point avoir pu en connaître la teneur.
    Kent se fit apporter de la cire par
quelqu’un de sa suite, apposa son cachet, et Daverill cacha le pli sous sa
cotte.
    — Un message, dit-il, sera
parvenu de l’extérieur au prisonnier qui, je pense, le détruira aussitôt.
Ainsi…
    Et ses mains firent un geste qui
signifiait l’effacement, l’oubli.
    « Cet homme, si je sais m’y
prendre assez bien, nous ouvrira les portes toutes grandes, le jour venu ;
nous n’aurons même pas à livrer bataille », pensait Edmond de Kent.
    Trois jours plus tard sa lettre
était aux mains de Roger Mortimer qui la lisait en conseil, à Westminster.
    Aussitôt la reine Isabelle, s’adressant
au jeune roi, s’écriait, pathétique :
    — Mon fils, mon fils, je vous
supplie d’agir contre votre plus mortel ennemi qui veut accréditer au royaume
la fable que votre père est encore vivant, afin de vous déposer et prendre
votre place. De grâce donnez les ordres pour qu’on châtie ce traître pendant
qu’il en est temps.
    En fait, les ordres étaient déjà
donnés et les sbires de Mortimer galopaient vers Winchester pour arrêter le
comte de Kent sur son chemin de retour. Mais ce n’était pas seulement une arrestation
que voulait Mortimer ; il exigeait une condamnation spectaculaire. Il
avait quelques raisons de se hâter ainsi.
    Dans un an, Édouard III allait
être majeur ; il manifestait déjà de nombreux signes de son impatience à
gouverner. En éliminant Kent, après avoir éloigné Lancastre, Mortimer
décapitait l’opposition et empêchait que le jeune roi pût échapper à son
emprise.
    Le 19 mars, le Parlement se
réunissait à Winchester pour juger l’oncle du roi.
    Au sortir d’un séjour de plus d’un
mois en prison, le comte de Kent apparut décomposé, amaigri, hagard, et comme
s’il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Il n’était pas homme,
décidément, fait pour supporter l’adversité. Sa belle nonchalance distante
l’avait quitté. Sous l’interrogatoire de Robert Howell, coroner de la maison
royale, il s’effondra, avoua tout, conta son histoire de bout en bout, livra le
nom de ses informateurs et de ses complices. Mais quels informateurs ?
L’ordre des Dominicains ne connaissait aucun Frère du nom de Dienhead ; c’était
là une invention de

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