Le Lis et le Lion
l’accusé, pour tenter de se sauver. Invention également la
lettre du pape Jean XXII ; personne, dans la suite de l’évêque de
Lincoln, pendant l’ambassade d’Avignon, n’avait eu conversation au sujet du feu
roi, ni avec le Saint-Père, ni avec aucun de ses cardinaux ou conseillers.
Edmond de Kent s’obstinait. Voulait-on lui faire perdre la raison ?
Pourtant, il leur avait parlé, à ces Frères Prêcheurs ! Il l’avait eue en
main, cette lettre « ab omni pœna et culpa » …
Kent découvrait enfin l’affreux
traquenard dans lequel on l’avait attiré en se servant du fantôme du roi mort.
Complot organisé de toutes pièces par Mortimer et par ses créatures : faux
émissaires, faux moines, faux écrits, et, plus faux que tous et que tout, ce
Daverill du château de Corfe ! Kent avait basculé dans le piège.
Le coroner royal requérait la peine
de mort.
Mortimer, assis sur l’estrade,
devant les Lords, tenait chacun sous son regard ; et Lancastre, le seul
peut-être qui eût osé parler en faveur de l’accusé, était hors du royaume.
Mortimer avait fait savoir qu’il n’engagerait aucune poursuite contre les
complices de Kent, ecclésiastiques ou non, si celui-ci était condamné. Trop
d’entre les barons se trouvaient, à un titre quelconque, compromis ; ils
abandonnèrent – et même Norfolk, propre frère de l’accusé – le second
prince du sang à la rancune du comte des Marches. Une victime expiatoire, en
somme.
Et bien que Kent, s’humiliant devant
l’assemblée et reconnaissant son aberration, eût offert d’aller porter sa
soumission au roi, en chemise, pieds nus et la corde au cou, les Lords, à
regret, rendirent la sentence qu’on attendait d’eux. Pour apaiser leur
conscience, ils chuchotaient :
— Le roi va le gracier ;
le roi usera de son pouvoir de grâce…
Il n’était pas vraisemblable qu’Édouard III
fît décapiter son oncle, pour une action coupable certes, mais où la légèreté
avait sa part, et où la provocation n’était que trop évidente.
Beaucoup qui avaient voté la mort se
proposaient d’aller, le lendemain, demander la grâce.
Les Communes, elles, refusèrent de
ratifier la sentence des Lords ; elles réclamaient un supplément
d’enquête.
Mais Mortimer, aussitôt acquis le
vote de la Chambre Haute, courut au château où la reine Isabelle était à son
dîner.
— C’est fait, lui dit-il ;
nous pouvons envoyer Edmond au billot. Mais nombre de nos faux amis escomptent
que votre fils le sauvera de la peine suprême. Aussi je vous conjure d’agir
sans retard.
Ils avaient pris soin d’occuper le
jeune roi pour toute la journée par une réception au collège de Winchester,
l’un des plus anciens et des plus réputés d’Angleterre.
— Le gouverneur de la ville,
ajouta Mortimer, exécutera votre ordre, ma mie, aussi bien que s’il venait du
roi.
Isabelle et Mortimer se regardèrent
dans les yeux ; ils n’en étaient plus à un crime près, ni à un abus de
pouvoir. La Louve de France signa l’ordre de décapiter sur-le-champ son
beau-frère et cousin germain.
Edmond de Kent fut à nouveau extrait
de son cachot et, en chemise, les mains liées, conduit, sous escorte d’un petit
détachement d’archers, dans une cour intérieure du château. Là il resta une
heure, deux heures, trois heures, sous la pluie, tandis que le jour tombait.
Pourquoi cette interminable attente devant le billot ? Il passait par des
alternances d’abattement et de folle espérance. Le roi son neveu était sans
doute en train de sceller l’ordonnance de pardon. Cette station tragique était
le châtiment qu’on imposait au condamné pour mieux lui inspirer le repentir et
mieux lui faire apprécier la magnanimité de la clémence. Ou bien il y avait
troubles et émeutes ; le peuple peut-être s’était soulevé. Ou peut-être
Mortimer venait-il d’être assassiné. Kent priait Dieu, et soudain se mettait à
sangloter d’angoisse. Il grelottait sous sa chemise trempée ; la pluie ruisselait
sur le billot et sur le casque des archers. Quand donc ce supplice allait-il
finir ?
La seule explication qui ne pût se
présenter à l’esprit du comte de Kent, c’était qu’on cherchait un bourreau, à
travers tout Winchester, et qu’on n’en trouvait pas. Celui de la ville, sachant
que les Communes rejetaient la sentence et que le roi n’avait pu se prononcer,
refusait obstinément d’exercer son office sur un prince royal.
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