Le Lis et le Lion
semblait que le vrai Capétien fût sur le trône
d’Angleterre.
En octobre de cette même année 1330,
le Parlement fut à nouveau convoqué, à Nottingham cette fois, dans le nord du
royaume. La réunion menaçait d’être houleuse ; la plupart des Lords
gardaient rancune à Mortimer de l’exécution du comte de Kent, dont leur
conscience demeurait alourdie.
Le comte de Lancastre au Tors-Col,
qu’on appelait maintenant le vieux Lancastre parce qu’il avait réussi le
prodige de conserver sur les épaules, jusqu’à cinquante ans, sa grosse tête
penchée, Lancastre, courageux et sage, était enfin de retour. Atteint d’une
maladie des yeux qui, depuis longtemps menaçante, s’était brusquement aggravée
jusqu’à la demi-cécité, il lui fallait faire guider ses pas par un
écuyer ; mais cette infirmité même le rendait encore plus respectable, et
l’on sollicitait ses avis avec davantage de déférence.
Les Communes s’inquiétaient des
nouveaux subsides qu’on allait leur demander de consentir et des nouvelles
taxes sur les laines. Où donc passait l’argent ?
Les trente mille livres du tribut
d’Ecosse, à quel usage Mortimer les avait-il employées ? Était-ce pour son
profit ou celui du royaume qu’on avait mené cette dure campagne, trois ans plus
tôt ? Et pourquoi avoir gratifié le triste baron Maltravers, outre sa
charge de sénéchal, d’une somme de mille livres pour salaire de la garde du feu
roi, autrement dit du meurtre ? Car tout se sait, ou finit par se savoir,
et les comptes du Trésor ne peuvent rester éternellement secrets. Voilà donc à
quoi servait le revenu des taxes ! Et Ogle et Gournay, les assesseurs de
Maltravers, et Daverill, le gouverneur de Corfe, en avaient reçu autant.
Mortimer qui, sur la route de
Nottingham, s’avançait en un tel train de splendeur que le jeune roi lui-même
semblait faire partie de sa suite, Mortimer n’était plus soutenu réellement que
par une centaine de partisans qui lui devaient toute leur fortune, n’étaient
puissants que de le servir, et risquaient la disgrâce, le bannissement ou la
potence, si lui-même venait à tomber.
Il se croyait obéi parce qu’un
réseau d’espions, jusqu’auprès du roi en la personne de John Wynyard,
l’informait de toutes les paroles prononcées et faisait hésiter les
conjurations. Il se croyait puissant parce que ses troupes imposaient la
crainte aux Lords et aux Communes. Mais les troupes peuvent marcher à d’autres
ordres, et les espions trahir.
Le pouvoir, sans le consentement de
ceux sur lesquels il est exercé, est une duperie qui jamais ne dure longtemps,
un équilibre éminemment fragile entre la peur et la révolte, et qui se rompt
d’un coup quand suffisamment d’hommes prennent ensemble conscience de partager
le même état d’esprit.
Chevauchant sur une selle brodée
d’or et d’argent, entouré d’écuyers vêtus d’écarlate et portant son pennon
flottant au bout des lances, Mortimer s’avançait sur une route pourrie.
Pendant le voyage, Édouard III
nota que sa mère paraissait malade, qu’elle avait le visage terne et tiré, les
yeux marqués de fatigue, le regard moins brillant. Elle allait en litière et
non sur sa haquenée blanche, comme c’était sa coutume ; souvent il fallait
arrêter la litière dont le mouvement lui donnait la nausée. Mortimer avait
auprès d’elle une présence attentive et gênée.
Peut-être Édouard eût-il moins
remarqué ces signes s’il n’avait eu l’occasion d’observer les mêmes, au début
de l’année, sur Madame Philippa son épouse. Et puis, en voyage, les serviteurs
bavardent davantage ; les femmes de la reine mère parlaient à celles de
Madame Philippa. À York, où l’on fit halte deux jours, Édouard ne pouvait plus
avoir de doutes ; sa mère était enceinte.
Il se sentait submergé de honte et
de dégoût. La jalousie également, une jalousie de fils aîné, aidait à son
ressentiment. Il ne retrouvait plus la belle et noble image qu’il avait de sa
mère, en son enfance.
« Pour elle j’ai haï mon père,
à cause des hontes qu’il lui infligeait. Et voici qu’elle-même à présent me
honnit ! Mère à quarante ans d’un bâtard qui sera plus jeune que mon
propre fils ! »
Comme roi, il se sentait humilié
devant son royaume, et comme époux devant son épouse.
Dans la chambre du château d’York,
se retournant entre les draps sans parvenir à trouver le sommeil, il disait
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