Le lit d'Aliénor
portes d’une cathédrale en me voyant franchir la porte de la grande salle du palais où il se trouvait en famille. Coupant court à son élan qui faisait fi des plus élémentaires convenances, Mathilde lui jeta un regard incendiaire et ce fut elle qui s’avança la première, me tendant une main chaleureuse tandis que je m’inclinai en une profonde révérence.
– Chère enfant, quel bonheur de vous voir ici de nouveau parmi les vôtres !
Me saisissant aux épaules, elle plaqua deux baisers légers sur mes joues.
– Soyez la bienvenue, Loanna, m’accueillit à son tour le comte.
Geoffroi le Bel était toujours aussi séduisant, malgré de profondes rides autour de ses yeux verts et un front dégarni par les soucis.
– Vous me voyez bien heureuse également, répondis-je sincèrement.
Mais déjà Henri se dressait devant moi et me prenait la main avec sollicitude.
– Il y a si longtemps que nous espérions votre retour, damoiselle.
Je levai les yeux et croisai son regard si brûlant qu’un fard me monta aux joues. Allez savoir pourquoi, cela m’agaça. Je retirai poliment ma main et répliquai en baissant le front :
– Messire Henri, vous voici désormais un fringant jeune homme. Permettez donc que je ne vous embrasse point.
– Tudieu, gronda-t-il en m’empoignant par les épaules. Quelle serait donc cette coquetterie qui interdirait l’étreinte d’un frère et d’une sœur ?
Et avant même que j’eusse pu réagir, il plaqua deux sonores baisers sur mes joues, puis partit d’un rire joyeux en commentant :
– Eh bien, que vous ont-ils donc fait en cour de France que vous soyez aussi prude désormais ?
– Henri ! le rabroua fermement Mathilde en m’entraînant vers la table garnie de fruits et de fromages. Malgré sa taille impressionnante, il n’en reste pas moins un véritable enfant. Ne faites point attention à ses dires, Canillette, vous voici plus belle que jamais.
– Vous aurais-je offensée, Loanna ?
La voix était inquiète dans mon dos. Non, il ne m’avait pas offensée. Je mesurai simplement d’un seul coup la justesse des prédictions de Jaufré avant son départ, quand il m’avait assuré que l’épouser serait un rempart contre les affections déplacées. Et, avec cette découverte, je me sentais plus démunie que jamais. Je me retournai pourtant, prenant sur moi pour conjurer mon immense tristesse.
– Il en faut bien davantage pour cela, messire Henri. Je suis harassée par ce voyage que la chaleur a rendu fort pénible. Pardonnez-moi si je me retire. Dès la fin de l’office de prime, je serai à même de partager avec bonheur ces retrouvailles. Pour l’heure, je n’aspire qu’à quelques ablutions et un sommeil salutaire.
– Quels sots sommes-nous de vous accaparer ainsi ! Je vous accompagne, mon enfant, et vais de ce pas faire monter dans votre chambre un panier garni dont vous pourrez tirer quelques gourmandises si la faim vous réveillait. Votre chambrière doit être restaurée. Je vais l’envoyer quérir. Quant à votre escorte, n’ayez aucune inquiétude. Le meilleur accueil lui a été réservé. Malgré nos différends avec le roi de France, ces gens seront chez nous servis comme chez eux. Allons, venez. Il est vrai que vous avez triste minois.
Et, protégée par le bras que Mathilde avait maternellement enroulé autour de mes épaules, je me laissai conduire d’un pas pesant vers l’escalier de pierre. Elle resta encore quelques minutes auprès de moi, mais n’insista pas sur les raisons de cette tristesse qu’elle pouvait lire dans mon regard. Sans doute mit-elle celle-ci sur l’émotion que me causaient ces retrouvailles. Elle me quitta lorsque Camille s’annonça. Lors, ce fut dans ses bras ronds et rudes que je m’effondrai, secouée par des sanglots venus de la nuit des temps, tandis qu’elle roulait des yeux ronds et ne cessait de répéter sans comprendre :
– Ah ben, v'là autre chose !
Cette autre chose c’était tout. Tout ce poison distillé dans mes veines, ce sort funeste qui s’acharnait sur ma vie. Qu’avais-je fait pour mériter ces punitions ? J’avais tout sacrifié à une cause qui me semblait juste, mais au nom de quoi ? Au nom de qui ? Ce royaume des morts, d’où sortaient mère et Merlin pour me poursuivre d’un devoir à accomplir, ne pouvait-il me rendre aussi celui que j’aimais ? Mon corps continuait à réclamer les bras noueux, la bouche gourmande et le sexe gonflé
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