Le lit d'Aliénor
à la couronne de France et à votre reine pour ne pas mettre sur vos épaules aussi cruel dilemme. D’ailleurs, ce n’est pas votre orgueil qui est bafoué, mais le mien.
– Qu’attendez-vous de moi, Sire ?
Ma question lui plut sans doute, car son sourire s’élargit et une lueur mutine passa dans cet iris sombre. Il me tendit le bref qu’il tenait.
– J’ai besoin d’un messager sûr pour remettre ce pli en main propre à ce stupide rejeton d’une famille ombrageuse. Ils sont nombreux autour de moi à estimer qu’envahir son territoire et lui infliger une cuisante défaite serait une solution, mais point la meilleure pour lui arracher ses hommages. Et, bien que je brûle d’envie de lui botter le derrière et de tiédir son arrogance, je me range à cet avis. Du moins est-ce la solution dernière que je me fais fort d’utiliser. Confiante en votre affection, j’espère que dame Mathilde saura vous écouter et fera entendre raison de ma dernière initiative pour maintenir la paix. Je vous demande de vous rendre en Normandie, dame Loanna, et de convaincre Henri Plantagenêt de cesser de me défier.
– Votre confiance m’honore, Votre Majesté, mais Henri est resté dans mes souvenirs l’être le plus capricieux et le plus rancunier que je connaisse. Je doute fort qu’il m’écoute.
– En ce cas, ce sera la guerre. Je soutiendrai Étienne de Blois et raserai l’Anjou et la Normandie jusqu’à ne plus trouver sur mon passage que champs de ruines. Me suis-je bien fait comprendre ?
– Je le crois, Votre Majesté.
– Allez, à présent. Plus tôt vous partirez, mieux cela sera pour la paix de ce royaume.
Lorsque je regagnai mes appartements pour préparer mes bagages, une sorte de joie infantile me gagna. Depuis plusieurs mois déjà, je cherchais une occasion de rejoindre Henri pour échafauder avec lui une tactique qui mette à bas le roi de France, Étienne de Blois, et nous allie l’Aquitaine. Il faudrait jouer fin. J’avais entrepris de convaincre Aliénor de la légitimité du combat d’Henri pour reprendre son héritage, et, même si elle désapprouvait, en tant que reine de France, le non-respect du serment d’allégeance de son vassal, elle ne pouvait s’empêcher de voir en ce jeune homme un ami qui la vengeait des tourments que lui infligeait son époux.
Le voyage fut chaotique. Les routes étaient encombrées de soldats à mesure que l’on s’enfonçait sur les terres et, à plusieurs reprises, je dus montrer le sauf-conduit du roi pour qu’on me laissât passer. Peu avant Château-du-Loir, la chaleur nous enveloppa comme une boule de feu. Bientôt la litière ne fut plus qu’une étuve et de nos fronts coula une sueur malsaine. Je penchai la tête à la portière et demandai que l’on s’arrêtât. Camille, ma chambrière, était en nage, d’autant plus qu’elle avait considérablement grossi ces dernières années et que cette obésité l’étouffait. J’aurais dû m’en séparer pour une jeunette plus alerte, mais nous avions traversé tant de choses ensemble que je n’en avais pas eu le cœur.
La voiture s’immobilisa devant un étang. Sur l’autre rive, un petit château fort perché sur un promontoire rocheux pointait ses tourelles vers un soleil de plomb. De nombreuses gens de conditions diverses, marauds, pèlerins ou voyageurs, pataugeaient dans l’onde verdâtre à grand renfort de rires. Je me tournai vers Camille :
– Allons, ma bonne, accompagne-moi. Cette eau me fait grande envie et nos mollets dégonfleront sans tarder à son contact.
– Point, madame, souffla-t-elle bruyamment en voyant le groupe qui se baignait. Que va penser tout ce bas peuple en voyant une dame de votre condition patauger de même !
– Que petit ou grand n’empêche pas d’avoir chaud ! Allons, viens, te dis-je. C’est un ordre ! ajoutai-je pour la contraindre car je savais que ses jambes enflées et durcies s’en verraient apaisées.
Lorsque la voiture se fut garée pour ne point encombrer la route, je l’entraînai de force derrière moi.
– Tout de même, damoiselle, ce n’est pas bien, non, ce n’est pas bien, ronchonna-t-elle en soulevant ses jupons pour me suivre tant bien que mal jusqu’au bord de l’eau.
– Là, ris-je, en la tenant par la main tandis que nos pieds nus s’enfonçaient dans l’eau vivifiante. Vois donc, bourrique, que ce n’était pas si terrible.
– Nenni, damoiselle. Nenni, mais tout de même, on
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