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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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toujours aussi diaboliquement beau, et ses cheveux se teintaient par endroits de quelques fils d’argent qui ajoutaient au charme de ses yeux gris.
    – Eh bien, mon ami, vous voici encore au moment où l’on vous espère le moins, gronda Henri, agacé par cette intrusion.
    – N’est-ce point vous, messire, qui m’avez invité à venir à vous à n’importe quelle occasion pour peu que le désir de chanter m’obsède ?
    – Maudit sois-je d’une telle proposition ! Allons, puisque tu es là et que par ma foi je n’ai que rarement eu l’occasion d’entendre meilleur chantre, je te pardonne. Mère est dans le salon avec quelques autres dames, vous écouter apaisera certains maux dont le souvenir m’est pénible, acheva-t-il en me lançant à la dérobée un œil noir.
    J’enroulai mon bras autour de celui qu’il me présentait et, emboîtant le pas à Bernard, nous rejoignîmes ces dames. Elles filaient en fredonnant une vieille comptine galloise et furent enchantées de notre visite. Bernard s’installa sur un tabouret, croisa entre ses cuisses une harpe et se mit en devoir de nous chanter ses dernières créations. Bien vite, il fallut me rendre à l’évidence. Plus que jamais c’était pour sa reine qu’il pleurait. Bernard n’avait pas oublié. Et, puisqu’il était désormais à la cour d’Henri, il serait bientôt de nouveau auprès d’elle. Car à coup sûr, si Aliénor épousait Henri pour se venger de Louis, ce dont je ne doutais plus, elle se lasserait vite de servir de paillasse. Lors, son amour perdu se confondrait dans les caresses de celui qui était encore tout pour elle. La vie n’était qu’un éternel recommencement. Pourquoi fallait-il que je sois la seule à en douter pour moi-même ?

12
     
     
    – À quoi bon ?
    La voix d’Hodierne de Tripoli s’éleva dans le dos de Jaufré, courbé au-dessus de l’écritoire.
    – Vous n’achèverez pas davantage celle-ci que les autres.
    Comme pour lui donner raison, Jaufré chiffonna le parchemin et le fit choir d’une main lasse dans une corbeille d’osier.
    Il tourna vers elle son visage tourmenté en sentant le poids d’une main affectueuse étreindre son épaule.
    – Je sais combien cela vous est difficile, mon ami, mais vous n’y pouvez désormais plus rien, soupira-t-elle encore.
    Son regard triste lui fit mal, une fois de plus. Elle attira le front lourd contre son ventre et caressa ce crâne presque nu désormais sur lequel de larges traces brunes traçaient d’étranges silhouettes. Cette fois, il ne pleura pas. C’était comme si les larmes aussi avaient achevé leur périple.
    Les souvenirs étaient revenus au fil des mois. Blaye, la cour de France, la croisade, sa solitude d’avant et sa complétude depuis qu’il avait trouvé l’amour de sa fée, sa lumière. Sa passion envahissait tout, comme une prison dans laquelle il s’enfermait lui-même, incapable de chercher à s’évader. Jaufré aurait mille fois préféré la mort à ce tourment perpétuel. Où était sa muse ? Que faisait-elle ? L’avait-elle oublié dans les bras d’un autre ? Et, bien que cela fût légitime puisqu’elle le croyait défunt, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver cette jalousie infâme et sournoise qui le rendait fou. Si seulement il avait pu aimer Hodierne… Hodierne, infaillible, qui lui avait tendu la main pour l’aider à marcher lorsqu’il avait retrouvé l’usage de ses membres. Qui avait réappris à écrire à sa main indisciplinée, qui pas une fois ne s’était plainte de la charge qu’il était, du mutisme dans lequel l’infortune l’avait jeté. Car sa voix était perdue. C’est à peine s’il parvenait à émettre quelques sons disgracieux lorsqu’il forçait de toute son âme ses cordes vocales. Jaufré le troubadour était emmuré.
    – Vous vous faites du mal, Jaufré, et cela m’est insupportable, vous le savez. Combien de ces lettres avez-vous froissées, couvertes des mêmes mots, des mêmes larmes, tout en sachant qu’ils étaient inutiles ? Il n’est pas bon pour vous de remâcher sans cesse un passé révolu. Croyez l’amie que je demeure. Oubliez ! Je vous en conjure.
    Jaufré s’arracha à l’étreinte dans laquelle tant de fois il avait abrité sa souffrance. Dix-huit mois déjà qu’il se terrait à Tripoli. Dix-huit mois qu’il devait à cette femme plus que sa vie. Il aurait voulu, tant voulu, lui témoigner plus qu’une reconnaissance éternelle.
    Il se

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