Le lit d'Aliénor
Taillebourg s’éleva pour demander ma main. J’eusse dû prendre plaisir à cela, mais je ne ressentis qu’un étrange pincement au cœur tandis qu’une giboulée de chagrin gagnait mes yeux. Que n’aurais-je donné pour que Jaufré surgisse brusquement et m’enlève !
Lorsque le roi et la reine m’appelèrent, je m’avançai très digne et me forçai à sourire.
– Loanna de Grimwald, commença le roi, cet homme qui est valeureux et fort aimable, souhaite vous prendre en épousailles, y consentez-vous ?
– Si ma reine le permet, oui, murmurai-je d’une voix que je voulus ferme.
– Votre reine vous offre toute sa bénédiction, répondit Aliénor, émue.
Elle savait que je n’étais pas guérie de la disparition de Jaufré. Bien sûr, mon mariage la priverait à jamais de mes caresses, mais depuis déjà longtemps elle avait su me remplacer par quelques servantes habiles. Elle était heureuse pour moi, espérant de tout son cœur que je trouve enfin la paix.
Geoffroi aurait voulu que le mariage soit célébré sur l’heure. J’avais refusé et demandé à ce qu’il soit proclamé en septembre. Afin de laisser auparavant se dénouer l’écheveau de ma vie, et planter les racines de mes lendemains. Cela aussi, il me l’accorda. Le roi arrêta la date du 30 septembre et décréta que ce soir serait fête dans le royaume. Ce n’était pas tous les jours que l’on « casait » une vieille fille !
L’on m’embrassa avec effusion, l’on me félicita chaleureusement, ainsi que Geoffroi. Mais, lorsque je me retrouvai seule dans ma chambre, je n’eus qu’un cri, un seul qui déchira le silence :
– Oh, Jaufré, qu’ai-je fait ?
La nouvelle assomma Jaufré Rudel, et lui coupa le souffle. Mariée ! Loanna de Grimwald, sa Loanna, allait épouser Geoffroi de Rançon ! Il dut s’asseoir pour ne pas s’écrouler. Hodierne de Tripoli s’agenouilla devant lui et chuchota pour lui seul :
– Il vous faut accepter la réalité, Jaufré. Elle ne pouvait indéfiniment se languir sur une tombe.
Il la fixa d’un regard éperdu, puis revint vers l’homme qui leur avait annoncé la nouvelle. Cela faisait plusieurs mois que celui-ci avait été envoyé en France, sur l’ordre d’Hodierne, pour y glaner des renseignements. En apprenant ces fiançailles qui libéraient Jaufré de son serment, Hodierne avait ressenti une joie puérile. Mais, à présent, elle se demandait si son miraculé n’allait pas se laisser mourir de chagrin, tant l’espoir avait porté ses jours ces derniers mois au point de lui permettre des progrès spectaculaires. À présent, Jaufré se déplaçait seul. Il s’appuyait encore sur une canne, et restait voûté, mais il cheminait sans aide et avait recouvré toutes ses facultés. Toutes sauf une, essentielle : la parole. Jaufré se leva soudain, et saisit une feuille sur l’écritoire. D’une main qui avait retrouvé ses marques sur le parchemin, il traça plusieurs questions, qu’il tendit à Hodierne. Elle hocha la tête. Elle aurait préféré ne pas avoir à les poser au messager, car elle se doutait que les réponses lui feraient plus de mal encore. Mais il avait le droit de savoir. Et elle l’aimait tant !
– À quelle date ce mariage doit-il être célébré ?
– Au 30 septembre de cette année, lui répondit l’homme basané et alerte.
– Que savez-vous d’autre sur cette dame ?
– Une bien triste histoire, Votre Majesté ! On raconte qu’elle aimait un homme, un troubadour. Vous savez, celui que l’on a enterré chez nous il y a déjà quelques années. Peu de temps après la mort de son promis, elle a fait une fausse couche. Personne n’a su qui était le père, mais cela a fait beaucoup de bruit au palais, car nul n’était au courant de sa grossesse. On raconte ensuite qu’elle n’a survécu que pour servir la reine, sans prétendant. Elle avait beaucoup maigri et n’était que l’ombre d’elle-même jusqu’à ce que le comte de Taillebourg demande sa main au roi de France. Voilà, c’est tout ce que je sais, mais c’est bien pitoyable, car vous pouvez m’en croire, Majesté, c’est une fort gente dame.
– Aime-t-elle ce Seigneur ?
– Je l’ignore, Majesté. Selon vos consignes, je ne l’ai pas approchée directement et ne sais que ce qu’on m’en a dit. Certains prétendent que c’est pour contrer le chagrin qu’elle a consenti à ce mariage, d’autres que c’est une manigance de la reine
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