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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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nous ouvrirent un passage suffisant au milieu d’une foule grouillante aux abords de la cathédrale. En premier plan des moines de Saint-Denis, Bernard de Clairvaux regardait avec une pointe de désapprobation cet étalage splendide.
    Louis vint humblement s’agenouiller à ses pieds sur le parvis inachevé de la cathédrale. Un murmure courut parmi l’assistance. Bernard de Clairvaux le releva en souriant. Puis, lui posant paternellement une main sur l’épaule, ils pénétrèrent dans la nef escortés de Suger, de la reine et de tous les féaux de Leurs Majestés.
    Suger célébra l’office, mais ce fut Bernard de Clairvaux qui prononça le sermon. Il rappela à chacun qu’une âme belle n’avait besoin d’aucun ornement et s’élevait, emplie de sa propre lumière, vers le royaume de Dieu. Que le luxe n’était que perversion et qu’il fallait chercher non point la mise mais ce qui se cachait derrière pour déterminer la valeur du bien ou du mal. Suger baissa la tête, mais, bien que directement concerné, ne se départit pas de ce regard fier qu’il arborait depuis le matin.
    Il est vrai qu’il n’avait pas fait les choses à moitié. Des colonnes de marbre formaient vers le chœur une allée digne de son ambition. Il était allé les chercher jusqu’à Rome, dans ce qui restait des palais, des thermes de Dioclétien. Des vitraux d’une finesse extrême, qui avaient rassemblé à Paris les maîtres verriers les plus habiles, ornaient les ouvertures. Au fond du chœur, haute de plus de cinq aunes, la croix resplendissait d’or et de pierreries. Un Christ de marbre finement taillé y était crucifié, le regard empli de miséricorde tourné vers la foule. Pour ajouter à la féerie, plantés dans la paume de ses mains, des clous de diamants le transperçaient de lumière. Il n’était pas un grand dans le royaume qui n’avait puisé dans ses subsits pour offrir à saint Denis le pardon du roi avec cette croix prestigieuse. Suger en rayonnait de fierté, Louis de reconnaissance.
    Bientôt, ce fut le moment que ce dernier attendait. Devançant les archevêques, il se présenta à la crypte pour recueillir lui-même dans ses mains les reliques sacrées de saint Denis.
    Bien qu’Aliénor courbât la tête, je vis passer un voile de tristesse dans ses yeux. Louis s’habillait comme un moine, se conduisait comme un moine et montrait par ce geste qu’il serait désormais soumis à jamais à l’Église. Elle venait de prendre conscience que son influence était définitivement vaincue. Son regard chercha celui de Bernard de Clairvaux. Le vieil homme n’afficha aucune complaisance. Il était temps qu’elle s’abaissât à davantage d’humilité, devait-il penser. Lorsque la cérémonie fut terminée, la reine demanda un entretien privé au saint homme. Bernard de Clairvaux y consentit.
    Je n’avais eu que deux fois auparavant l’occasion de le rencontrer. Sa dernière entreprise à Cluny, au cours de laquelle il condamna les amours d’Abélard pour sa jeune et jolie élève Héloïse, m’avait laissé un goût amer dans la bouche. Même les adeptes d’Abélard s’étaient vus, ce jour-là ébranlés dans leur conviction, tant l’homme était fascinant. Il portait Dieu comme d’autres l’épée. Dès qu’il haranguait, il était transfiguré. Lorsqu’on le regardait, on s’imaginait qu’allait sortir de lui une petite voix semblable à son image fluette et usée. Elle éclatait, grave et puissante, dans des poumons d’acier. On prétendait qu’il avait été en sa jeunesse la personne la plus séduisante du royaume. Il s’était consumé, ratatiné. Seuls ses yeux d’un bleu dur, métallique, donnaient encore une vague idée de sa beauté passée. Ce qu’il avait perdu en apparence, il l’avait gagné en superbe. Bernard de Clairvaux inspirait la crainte, l’amour, le respect et la foi. C’était un être dangereux.
    Plus encore que Suger. Suger était parti de rien et s’était accroché au pouvoir dont il aimait le faste et le luxe. Son ambition s’arrêtait à sa seule personne. C’était pour lui seul qu’il avait relevé l’abbaye de Saint-Denis, reconstitué son patrimoine. L’abbé de Clairvaux, à l’inverse, aimait le pouvoir, mais au profit de Dieu. Il ne possédait rien, ne souhaitait rien pour lui-même. Seuls comptaient la puissance absolue de Dieu et son contrôle sur les âmes.
    Lorsque Aliénor reparut, elle était sereine et l’abbé souriait.
    Les

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