Le livre du magicien
l’obscurité. Il identifia la livrée, fleurs de lis d’argent sur fond bleu : les Chiens du roi ! Tirant épée et dague il se retourna pour prendre ses jambes à son cou. Il était perdu. Une autre rangée de soldats venait d’apparaître. Elle empêchait toute fuite vers le quai. La voix, haute et claire, répéta :
— Monsieur, déposez vos armes. Nous voulons vous parler de ce que vous avez dérobé.
Ufford repensa au gibet de Montfaucon, noir et menaçant, au vacarme du tombereau des exécutions, à la roue qui tournait pendant que les bourreaux rompaient jambes et bras à coups de maillet.
— Je ne peux déposer mes armes et je n’ai pas de manuscrit, répondit-il en écartant les bras. Laissez-moi passer.
Les hommes qui lui faisaient face, vêtus comme les autres, commencèrent à s’approcher, sinistres silhouettes de mort. Ufford murmura un acte de contrition et s’accroupit, épée et poignard au clair. Le fracas des armes et les horribles cris de l’Anglais expirant rompirent le silence de la rue.
À quelque distance de là, William Bolingbroke était tapi dans une étroite venelle puante, dans un coin jonché d’ordures, son sac de cuir entre les jambes. À l’entrée de la ruelle était assis un mendiant qui lui avait dit que les Chiens du roi se rassemblaient le long du fleuve. Alors, que faire à présent ? Il était hors de question de rejoindre la cogghe qui les attendait. Il s’efforça de ne pas penser à Ufford, mais plutôt à leur maître, Sir Hugh Corbett. Qu’attendrait-il de lui ? Où était la logique de tout cela ? C’était là sa meilleure protection, sa plus sûre défense contre le danger, maintenant et à l’avenir. Il se mordilla les lèvres et prit le temps de réfléchir au chemin qu’il emprunterait dans le labyrinthe qui s’étendait devant lui.
Corfe, octobre 1303
Les Anciens croyaient que le château de Corfe, sinistre ensemble de bâtiments qui s’élançaient vers le ciel du Dorset, était l’oeuvre des géants. Tours, courtines, murailles crénelées et hauts portails dominaient les champs, les prairies et les denses forêts noires qui descendaient jusqu’à la côte. En cette froide nuit de la Saint-Simon et Saint-Jude, les ténèbres, ponctuées par endroits par l’éclair intermittent des torches embrasées et des brasiers pétillants disposés le long des remparts pour procurer lumière et chaleur aux sentinelles, enveloppaient la forteresse.
Le froid piquant réjouissait pourtant le hors-la-loi connu sous le nom de Horehound. Personne ne quitterait le château et, par conséquent, le sergent ne les pourchasserait pas, ni lui ni ses compagnons. Il s’enfonça plus avant dans l’ombre d’un grand chêne. La faim était un problème plus urgent. Le chevreuil avait été trop agile et ce genre de chasse éveillait toujours des soupçons. Horehound avait donc dû tendre ses pièges et, sac de cuir sur l’épaule, il avait l’intention d’aller voir ce qu’avait donné la moisson du début de soirée. Il serra son arbalète et se rassura en effleurant le coutelas glissé dans la ceinture de cuir autour de sa taille. Il se sentait bien dans les habits qu’il avait dérobés à un marchand livrant du vin au manoir, un sot qui croyait que, assis dans sa charrette, il pouvait suivre à grand bruit les sentiers de la forêt sans acquitter la taxe habituelle, un avaricieux qui avait renâclé à payer une escorte. Horehound l’avait dépouillé de ses vêtements et de son escarcelle, mais lui avait laissé son vin, son chariot et son cheval. Le larron, d’un geste satisfait, passa la main sur le justaucorps de laine et s’emmitoufla plus étroitement dans l’épaisse chape noire. Il tendait l’oreille, guettant le moindre son. Il arrivait que le sergent dépêche verdiers {3} et chasseurs, mais Horehound n’entendait nul bruit au coeur de la nuit.
Il se ressaisit et décida de se déplacer. Il connaissait les sentes et le château lui était un point de repère comme le serait une étoile pour un marin naviguant sur une mer inconnue. Certain qu’il n’y aurait personne dans la forêt ce soir, il avançait sans peine. Il n’y avait pas de danger. Il bondissait comme un limier qui, assuré de sa proie, prendrait son temps. Le vrai péril se trouvait en terrain découvert, dans les prairies, les pâtures ou la vaste esplanade face à la forteresse. Devant lui le chemin sinuait. Horehound s’arrêtait parfois, s’accroupissait
Weitere Kostenlose Bücher