Le livre du magicien
savait que je les aurais avec moi, pas lors d’une réunion en France, mais n’importe où en Angleterre. Et, bien sûr, Bolingbroke avait confirmé le fait, d’autant plus que j’assistais à une assemblée sur les chiffres et les codes. Ils ont pu glaner quelque chose lors de ma conversation avec Sanson, mais ce n’était rien par rapport au pillage de cette chambre et au vol de nos livres et manuscrits secrets. Philippe serait devenu le maître incontesté. Édouard d’Angleterre, déjà lié par le traité de Paris, aurait vu tous ses secrets jetés sur la place publique. Philippe et Craon auraient joué les innocents et déploré en public les événements, mais, en privé, ils se seraient réjouis de leur grand triomphe. Il n’a jamais, conclut Corbett, été question de frère Roger. C’était toujours la même histoire : savoir qui est le maître en Europe. Mais pourquoi vous, William ?
Bolingbroke ouvrit la bouche.
— Allez-vous nier ? interrogea Corbett. Je peux aller voir Craon et lui narrer ce que je sais. Je parie qu’il jouera les Judas pour moins de trente pièces. Ou je peux vous faire arrêter et vous envoyer sous bonne garde à Westminster. Vous comparaîtrez devant le Banc du roi. On vous accusera de haute trahison et d’homicide. Les charges contre vous sont accablantes, William. On vous logera à la Tour et de là, on vous traînera jusqu’à Smithfield sur une claie. Puis vous serez pendu. Juste avant de périr étranglé on vous éventrera pour vous éviscérer. Après votre mort, on vous décapitera et on fichera votre corps coupé en morceaux sur des piquets placés sur le Pont de Londres.
— L’or, déclara Bolingbroke en effleurant la trace du soufflet sur son visage.
Il toussa et s’éclaircit la gorge.
— L’or et l’argent.
Il tendit les doigts vers le feu.
— L’été dernier, juste après la Saint-Jean-Baptiste, Sanson a demandé à me rencontrer en son logis. Craon s’y trouvait. Ils ont déclaré pouvoir prouver que j’étais un espion. Ils pouvaient donc m’arrêter et me faire pendre à Montfaucon. Ils m’ont promis la vie sauve, la fortune et les honneurs en France. J’étais las, Sir Hugh, las de la nourriture infecte, des galetas infestés de rats, las de faire semblant d’être un étudiant pauvre. C’était si simple, si facile à accomplir ! J’étais piégé.
Il cilla pour refouler ses larmes.
— En un clin d’oeil, ajouta-t-il comme s’il parlait à son bonnet. Et une fois piégé ? Eh bien, c’était comme dans mon enfance, quand je descendais une colline en courant : une fois la course commencée, on ne peut s’arrêter. Je me suis dit qu’au fond il importait peu que je serve ce roi ou cet autre.
— Dénonceriez-vous Craon ? s’enquit le magistrat.
— Quelle preuve ai-je ? ricana le clerc avec amertume. Vous ne pouvez jouer à ce petit jeu, Sir Hugh. Vous devriez alors reconnaître qu’Ufford était un espion et Craon se contenterait d’écouter et de rire. La seule preuve dont vous disposez, c’est celle que vous avez avancée contre moi. Insuffisante pour le pendre.
Il haussa les épaules.
— Mais sans nul doute suffisante pour me pendre, moi. Je ne veux pas faire ce trajet à Smithfield.
— Avouez-vous ? le pressa Ranulf.
— Je confesse tout, ici même. J’admets la vérité, en votre présence. J’ai bien du sang d’innocents sur les mains, et de toutes ces morts c’est celle de Walter que je déplore le plus. Craon avait promis qu’il serait fait prisonnier et peut-être échangé avec un autre captif en Angleterre.
Il repoussa sa chaire.
— Mais à quoi bon ? Vous avez le pouvoir d’un juge, Sir Hugh.
Le regard de Bolingbroke se fit suppliant.
— Un prompt trépas, la chance d’être absous par le père Andrew ? Qu’on en finisse ici.
Corbett fit un signe à l’intention de son écuyer.
— Emmène-le, informe Sir Edmund de ce que nous savons et que Bolingbroke se déclare coupable. On le conduira sous escorte à la chapelle. Le père Andrew peut l’ouïr en confession et, pendant qu’il donnera l’absolution, demande au gouverneur de faire préparer le bourreau. Que ce soit rapide : une bûche et une hache. William, je ne souhaite plus vous revoir.
Ranulf prit Bolingbroke par le bras et le fit se lever. Le clerc ne résista pas. Il déboucla même son ceinturon et le jeta sur le sol. Puis il ôta son anneau de la chancellerie et le laissa tomber aux pieds du
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