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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et leur boucher les
oreilles avec des bouts de laine. Plaise à vous de nous aider, nous irons plus
vite. Le jour baisse et il ne faut pas retarder l’attaque davantage. Ces quatre
hommes que voilà demeureront en renfort avec vous et les mousquets en
supplément s’ajouteront à vos pistolets. Plaise à vous de vous remparer du
mieux que vous pouvez, sous le carrosse et sous la charrette.
    À neuf, nous vînmes rapidement à bout de notre tâche, au
grand contentement de Becker qui prêta la main, tout en mesurant à chaque
instant de l’œil la hauteur des rayons du soleil à travers les arbres.
    — Monsieur le Comte, dit-il, peux-je quérir de vous et
de Monsieur le Marquis lequel de vous commandera cette petite troupe ?
    — Ce sera le comte d’Orbieu, dit mon père aussitôt. Il
a meilleure vue que moi.
    — Et il faudra, en effet, qu’elle soit fort bonne, dit
Becker, pour ne pas tirer par erreur sur les nôtres.
    Comme Becker sur ces mots s’en allait, La Barge s’approcha
de moi et me dit sotto voce :
    —  Monsieur le Comte, plaise à vous de m’accorder
un petit bec à bec.
    — À s’teure ? Tu choisis bien ton moment !
    — Monsieur le Comte, ce sera très court.
    — Fort bien. Je te prête une oreille. Ma fate presto [40] .
    — Monsieur le Comte, parlez-moi à la franche
marguerite : me déprisez-vous ?
    — Qu’est cela ? dis-je béant. Mais si je te
déprisais, il y a belle heurette que je t’aurais désemployé !
    — Cependant, Monsieur le Marquis ne m’aime pas.
    — Je dirais que mon père souffre plus mal que je ne
fais tes petits défauts…
    — Et quels sont mes petits défauts ?
    — Tu es babillard, étourdi et désobéissant.
    — Et couard ?
    — Couard ? Non, tête bleue ! où as-tu péché
cette billevesée-là ?
    — Je me suis apensé que peut-être vous aviez vu dans la
mésaise dont j’ai pâti en votre carrosse une sorte de couardise.
    — La Barge, ouvre bien tes oreilles ! Il y a
toujours, et dans chaque homme, quelque mésaise à l’approche du danger. D’après
mon père, Henri IV, avant chaque bataille, et Dieu sait s’il en livra,
souffrait d’un flux de ventre irrépressible, et en faisait des plaisanteries
gasconnes. Mais peur n’est pas couardise. Bien loin de là. La vaillance est
faite d’une peur qu’on surmonte.
    — Monsieur le Comte, je suis gentilhomme, et je ne
voudrais pas qu’on me tienne pour lâche.
    — Mais tu ne l’es pas !
    — Monsieur le Comte, si l’ennemi nous tombe sus, d’où
viendra-t-il ?
    — Du bois, évidemment.
    — Il vous faudra donc une sentinelle quelque part dans
le bois pour signaler son approche.
    — Cela va sans dire.
    — Monsieur le Comte, je voudrais que cette sentinelle,
ce soit moi. Je vous le demande en grâce.
    — Tu ne serais pas le meilleur choix, du fait de ton
inexpérience.
    — Monsieur le Comte, si vous me refusez cela, c’est que
vous doutez que j’aie du cœur.
    — Encore ! Quelle antienne me chantes-tu là !
    — Alors, Monsieur le Comte, accordez-moi de grâce ce
que je demande !
    — Soit ! dis-je, exaspéré. Mais à une
condition ! C’est que si les ennemis approchent et que tu les reconnais
pour tels, tu ne tires point. En aucun cas, tu ne dois tirer… Tu te dérobes et
tu cours nous prévenir.
    — Monsieur le Comte, je ferai votre commandement.
Peux-je aller maintenant rejoindre mon poste ?
    — Va, dis-je, mais du bout des lèvres.
    Je l’envisageai qui s’enfonçait dans le bois avec un petit
griffement de cœur, tant je me sentais mal satisfait d’avoir cédé à ses
instances.
    Mon écuyer parti, mon père s’approcha de moi et me
dit :
    — Où va La Barge qu’il a l’air si fendant ?
    — Dans le bois, en sentinelle avancée. Il l’a quis de
moi.
    — J’eusse préféré un Suisse à ce poste. Il eût reconnu
plus vite l’adversaire, connaissant bien ses camarades.
    Cette remarque me prit sans vert, tant je la trouvais
pertinente. Cependant, comme je restais coi, un Suisse s’approcha de moi et me
sauva d’embarras.
    —  Herr Graf [41] ,
dit-il, si vous le trouvez bon, nous pensons nous poster à plat ventre sous la
charrette afin de voir sans être vu et de tirer sur l’ennemi, s’il apparaît.
    — Je le trouve bon, dis-je, ayant l’impression pénible
de recevoir là une deuxième leçon, car bien que je fusse le chef de notre
petite troupe, je n’avais encore donné aucun ordre et regrettai le

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