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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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forcée prouver sa vaillance.
    Hélas ! C’est ce qu’il fit ! Et d’après ce que
nous conjecturâmes ensuite, en raison de la position de son corps, il quitta
l’abri de son arbre, vida ses deux pistolets sur les ennemis les plus proches
et tira ensuite son épée. C’était folie ! Une violente mousquetade éclata
et comment n’eussé-je pas pensé alors que mon malheureux écuyer n’ouït que le
premier coup, n’étant déjà plus de ce monde quand le second retentit.
    — Mon père, dis-je, d’une voix basse et trémulante à
son oreille, que pouvons-nous faire ?
    — Attendre, dit mon père laconiquement.
    On n’ouït que peu de bruit après ce tapage : sans doute
les gueux rechargeaient-ils leurs armes avant de s’aventurer plus avant. Ce
qu’ils firent sans précaution aucune, dans un grand froissement de branches et
sans dépêcher au préalable un éclaireur pour reconnaître qui ou quoi les
attendait, quand ils déboucheraient à l’orée du chemin de terre. En fait, ils
arrivèrent tous ensemble et sur une seule ligne. Et j’entendis à quel point les
Suisses, nous donnant l’exemple, avaient été sages de s’allonger sous leur
charrette, car l’herbe haute du chemin nous dérobait à la vue des ennemis, mais
ne les dérobait pas à la nôtre.
    N’osant parler, même sotto voce, je demandai de l’œil
à mon père si je devais donner le signal du tir en tirant le premier, mais il
fit « non » de la tête, un « non » que je n’entendis que
plus tard. Les gueux étaient huit, et mon père se demandait si d’aucuns, fuyant
comme eux le combat, n’allaient pas les rejoindre et renforcer leur nombre. Je
vis les adversaires confabuler entre eux à voix basse et, me haussant avec la
plus grande prudence sur mon coude, je pus apercevoir leurs faces à travers les
hautes herbes du chemin. Elles portaient un air étonné et méfiant comme s’ils
faillaient à entendre comment un carrosse armorié, une charrette et de nombreux
chevaux pouvaient se trouver là sans personne pour les garder que le galapian
qu’ils venaient d’expédier.
    Ces gueux étaient vêtus de bric et de broc, et avaient une
mine basse et sanguinaire, qui convenait mieux à des brigands qu’à des soldats.
Ils hésitaient et je pouvais presque voir leur cervelle fonctionner. Ils
voulaient capturer nos chevaux qui seuls permettraient de s’enfuir. Mais pour
parvenir jusqu’à ces montures si convoitées et si nécessaires, il leur fallait
s’approcher d’un carrosse qui était claquemuré et d’une charrette étroitement
bâchée. Étant déjà tombés dans un piège, ils redoutaient de choir dans un
deuxième et, ne voyant personne, ils se demandaient ce que cela cachait.
    Cependant, ils hésitaient. Pas un seul des leurs venant du
bois n’était venu renforcer leurs rangs et, sur un signe de mon père, j’allais
commencer le feu, quand l’un d’eux se détacha du groupe, le mousquet à la main,
avec l’évident dessein d’explorer de plus près le carrosse. Cet homme, aussi
vaillant qu’aventureux, était nu-tête et ladite tête montrait une chevelure
hirsute, raison pour laquelle elle se ficha à jamais dans ma remembrance. Il
marchait à pas mesurés et sa lente avance déclencha par une sorte de mécanique
une suite d’événements qui ne semblait rien devoir à la volonté humaine.
    Le signal en fut donné par un sifflement soudain, d’autant
plus audible qu’il s’était fait un grand silence chez les gueux quand ils
virent leur camarade s’avancer seul. Puis, il y eut une sorte de choc mat, un
fort soupir et l’homme tomba à la renverse de tout son long, le cotel de
Charpentier fiché en plein dans le cœur et un filet de sang coulant de sa
bouche. Du moins c’est ainsi que nous le vîmes quand nous pûmes enfin nous
lever. Car, lorsque l’homme s’écroula, comme foudroyé par une force invisible
(Charpentier, son cotel lancé, s’étant jeté à terre), les gueux épaulèrent
leurs mousquets et tirèrent à l’unisson sur mon carrosse, comme s’ils le
tenaient pour responsable de la mort de leur camarade.
    Ce fut une violente et brève mousquetade dont nous ouïmes
au-dessus de nos têtes les chocs sourds et répétés sur les parois du carrosse.
J’étais trop étonné par l’absurdité de cette réaction pour en voir tout de gob
les conséquences. Mais les Suisses, gens de métier, entendirent aussitôt que
l’ennemi, ayant déchargé ses mousquets, n’était plus

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