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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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à craindre et donnèrent
alors la parole à leurs armes. Mon père en fit autant, et moi aussi, et
Charpentier, lequel avait rampé jusqu’à mon côté pour saisir un mousquet. Ce
fut un moment à la fois exaltant et odieux, quand on vit nos adversaires tomber
comme des cibles en arrière sous le choc de nos balles tirées à si faible
distance. Quand tout fut fini, j’appuyai ma joue contre la crosse de mon
mousquet et cachai ma face de ma main, tant j’éprouvais de vergogne à avoir tué
mon semblable et à l’avoir fait avec tant de plaisir.
    — Qu’avez-vous ? dit mon père doucement.
    Je le lui dis et il haussa les épaules.
    — Ils nous ont dépêché La Barge. Ils vous auraient tué,
s’ils l’avaient pu. N’est-ce pas assez pour les maudire ?
    Le pauvre La Barge, quand nous entrâmes dans le bois, était
étendu sur le dos, les jambes écartées et sa poitrine n’était que sang. Mon
père retrouva dans l’herbe ses deux pistolets et, les examinant, les trouva
déchargés, ce qui confirma la supposition que nous avions faite. On retrouva,
une demi-toise plus loin, son épée nue, cette épée avec laquelle il avait cru
pouvoir affronter des mousquets chargés avant de tomber foudroyé sous leurs
balles.
    — Monsieur mon fils, dit mon père, l’aviez-vous
autorisé à tirer ?
    — Tout le rebours. Je le lui avais même strictement
interdit.
    — Il vous aura donc désobéi une fois de plus.
    Et après un silence, il ajouta :
    — Et cette fois, ce fut la dernière.
    Il y avait plus de tristesse que de désapprobation dans
cette remarque, ce qui me toucha, mon père s’étant montré, dans les occasions,
assez rude avec La Barge. Mais Dieu sait si à moi-même il me donnait parfois
furieusement sur les nerfs, étant étourdi, babillard et pour son âge, puéril.
Cependant, je l’aimais aussi, car étant entré à mon service à douze ans comme
page, et étant orphelin de père, il se considérait quelque peu comme mon fils
et nourrissait pour moi une grandissime affection, mais par malheur, sans
l’obéissance qui eût dû l’accompagner.
    Charpentier m’aida à le transporter dans la charrette où on
fit place pour l’étendre, lui recouvrant la face de son mantelet. Mon intention
était, avec la permission du cardinal, de le déposer dans la crypte du château
de Fleury en Bière.
    Hörner « vint au rapport », comme il me le dit, et
très à la soldate, les talons joints, le corps roide, la voix forte et
rapide : la victoire était complète. Nous avions entouillé l’embûche et
pris les ennemis à revers. Ils avaient peu et mal réagi et s’étaient mis
presque aussitôt à la fuite, ce qui nous avait permis de les tailler en pièces
presque impunément. À vue de nez, ils avaient dû perdre une vingtaine des
leurs.
    — Pas de prisonniers ?
    — Non, Monsieur le Comte, pas de prisonnier, dit Hörner
sans battre un cil, à l’exception d’un gentilhomme, le marquis de Bazainville,
que Becker va incontinent vous amener.
    — Quelles sont vos pertes, Capitaine ?
    — Deux tués et cinq blessés.
    — Où sont les blessés ?
    — On les amène céans, Monsieur le Marquis, ayant promis
de leur donner les premiers soins.
    — Pour vos morts, Capitaine, je paierai comme convenu
l’ouverture de la terre chrétienne au curé de Fleury en Bière.
    — La grand merci, Monsieur le Comte, dit-il, la gorge
nouée.
    Et il poursuivit :
    — Quant à la picorée ?
    — Nous en reparlerons, dis-je, voyant apparaître Becker
avec le prisonnier. Monsieur mon père, ajoutai-je, aurez-vous besoin du
carrosse pour curer vos blessés ?
    — Nenni, je ne pourrais les y étendre. Tout ce que je
veux, dit-il en se retournant vers Hörner, c’est une grande bâche à terre pour
la propreté et une ou deux lanternes, car le soir tombe.
    — J’occuperai donc le carrosse avec une lanterne, le
prisonnier et Monsieur Charpentier, s’il le veut bien, sera mon greffier, pour
peu qu’il ait avec lui son écritoire.
    — Monsieur le Comte, dit Charpentier, ma plume ne me
quitte jamais.
    Une fois que nous fûmes installés, je considérai Monsieur de
Bazainville. Il avait peu à se glorifier dans la chair, étant de taille petite,
malitorne, les jambes torses, une face étrangement faite, un nez courbe, l’œil
dur, une mine chafouine et des yeux épiants qu’il tournait constamment de tous
côtés comme s’il cherchait une petite proie à se mettre sous la dent ou un

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