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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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temps que le
bec à bec avec La Barge m’avait fait perdre.
    Le Suisse s’en alla et, me tournant vers mon père, et vers
Charpentier, je leur dis :
    — Ferons-nous comme les Suisses ? À plat ventre
sous le carrosse ?
    — L’idée est bonne, dit mon père, si du moins elle ne
blesse pas votre dignité.
    — Pas le moindre.
    — Elle ne froisserait pas non plus la mienne, dit
Charpentier, mais il m’est difficile de lancer le cotel dans la position que
vous dites. Je préférerais, avec votre permission, Monsieur le Comte, rester
debout, abrité derrière le carrosse.
    J’acquiesçai, m’allongeai à côté de mon père sous le
carrosse et, comme lui, disposai à côté de moi mon épée nue, mes deux pistolets
et mon mousquet. J’observai que mon père avait apporté les recharges.
    — Je doute pourtant que nous ayons le temps de
recharger, dit mon père. Il faudra donc tirer à bon escient, car nous n’avons
que trois coups. Après quoi, nous ne disposons plus que de notre épée, laquelle
ne sera que de petite usance face à un mousquet chargé.
    Comme il achevait, un cri de hulotte, long et lugubre,
retentit, provenant de l’autre côté du grand chemin.
    — À ma connaissance, dit mon père, les chouettes
hululent seulement la nuit. Ce n’est donc pas un vrai hululement, c’est un
signal. Il faut maintenant attendre la réponse.
    Quoi disant, il posa un bref instant sa main sur la mienne
et ajouta :
    — La fête commence ! Dieu vous garde, mon
fils !
    — Dieu vous garde, Monsieur mon père !
    La gorge me serra en prononçant ces mots, si grand était mon
émeuvement de voir ce seigneur aux cheveux blancs, mon père et mon modèle,
délaisser les aises et la quiétude de son hôtel parisien et se mettre à tant de
peine pour m’aider en ma première et périlleuse épreuve.
    Un second hululement retentit, cette fois de notre bord,
tout aussi long et lugubre que le premier, et tout aussitôt, nous ouïmes coup
sur coup deux fortes explosions : les pétards de guerre avaient éclaté de
chaque côté du chemin au milieu des chevaux. Les hennissements de douleur et de
peur remplirent alors le bois, trahissant une épouvante à vous serrer le cœur.
Dans l’intervalle de ces hurlements déchirants, on pouvait ouïr les
piétinements affolés et les violents froissements de branches qui annonçaient
que les montures de l’ennemi se mettaient à la fuite, mais bien en vain, tant
étaient hauts et quasi impénétrables les taillis auxquels elles se heurtaient,
en particulier sur le bord du chemin.
    Les hennissements diminuèrent quelque peu en fréquence et en
violence, et une forte mousquetade éclata alors, ce qui nous fit entendre que
l’ennemi, quittant ses positions le long du chemin, et s’enfonçant dans le bois
pour capturer ses montures, avait rencontré les nôtres en embuscade derrière
les arbres. J’imaginais qu’au premier contact, étant attaqués à l’improviste et
surpris là où ils croyaient surprendre, les ennemis eurent beaucoup de pertes
mais, à mon sens, les survivants durent se reprendre et se cacher à leur tour
derrière les arbres pour tirer, car les mousquetades diminuèrent en intensité
et en fréquence, comme il est normal quand on est à la fois chasseur et chassé.
    J’éprouvais un sentiment quelque peu étrange d’être couché à
quelques toises d’un combat, oyant tout ce qui s’y passait, mais sans rien
voir, d’autant qu’il y avait des accalmies subites, dues au fait qu’il fallait,
d’un côté comme de l’autre, recharger les mousquets, ou les pistolets, dès
qu’ils avaient tiré.
    Ce fut pendant l’une de ces trompeuses accalmies que nos
propres chevaux, ayant mangé leurs avoines, se mirent à hennir aussi à travers
leurs sacs, étant énervés de toute la noise qu’ils pouvaient ouïr malgré les
bouts de laine qui bouchaient leurs oreilles et les bouchaient sans doute
imparfaitement. J’entendis alors que les ennemis valides allaient se porter
dans notre direction, dans l’espoir où ils seraient d’y trouver des montures,
leur progression étant facilitée par le fait que, le jour baissant, le
sous-bois devenait obscur.
    — Espérons, dit mon père à l’oreille, que La Barge,
s’il les aperçoit assez tôt, aura le bon sens de nous venir rejoindre.
    J’en étais bien moins sûr moi-même, craignant que le
béjaune, enflammé de tous les soupçons de couardise qu’il imaginait avoir
encourus, voulût à force

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