Le Lys Et La Pourpre
sur la route. Abandonnant leur poste,
ils se mettront à courir de tous côtés pour reprendre leurs montures. Nous les
attaquerons alors à l’improviste.
— Le peloton deux, j’imagine, fera de même de l’autre
côté du chemin, dit mon père. Ne serait-il pas bon que le premier pétard fût
jeté en même temps à dextre et à senestre ?
— Oui-da, Monsieur le Marquis, un signal est prévu pour
que les deux pelotons attaquent en même temps. L’effet de terreur en sera plus
grand.
— Quant au peloton numéro trois, dis-je, celui qui
attaquera la barricade, il risque de ne plus trouver personne devant lui. Car
ces soldats-là aussi vont se mettre à courir après leurs chevaux.
— C’est probable, mais avant qu’ils ne gagnent le
sous-bois, nos hommes, cachés dans les hautes herbes du marécage, pourront en
navrer quelques-uns. Marquis, poursuivit Hörner, je voudrais, si vous y
consentez, vous confier une tâche qui vous agréera peu en tant que gentilhomme,
mais vous paraîtra fort utile en tant que médecin.
— Je sais laquelle, dit mon père avec un sourire. Vous
pensez qu’au lieu d’aller avec vous au combat, je rendrais plus de service à
attendre en ce camp qu’on m’amène les blessés pour leur bailler les premiers
soins. Eh bien, reprit-il avec un sourire, pourquoi pas ? À chacun son
métier. En ce cas, il me faudra des aides pour soigner ces blessés. Par
exemple, La Barge, Monsieur Charpentier et le comte d’Orbieu.
J’entendis alors que mon père n’avait capitulé si vite que
pour me retenir à ses côtés loin des dents de la mort.
— Mon père, dis-je, vous aurez pour vous aider La Barge
et Charpentier. Je ne vous serai donc pas utile. Pour moi, j’aimerais suivre au
combat le capitaine Hörner et, vu son âge et son expérience, me placer sous ses
ordres.
Cette déclaration amena un assez long silence, anxieux chez
mon père, bien qu’il le voulût dissimuler, et plus que gêné chez Hörner,
lequel, en revanche, ne cacha pas son sentiment.
— Monsieur le Comte, dit-il gravement, vous me mettez
dans l’embarras. Vous avez loué mes services pour que je protège votre vie et
non pour que vous la hasardiez avec moi. Ces gens-là sont plus nombreux que
nous, et bien qu’ils soient peu disciplinés, cela ne veut pas dire qu’ils ne
soient pas vaillants au combat. Si vous veniez à être tué, on dirait que je
n’ai pas fait mon métier. Je perdrais ma réputation et personne ne voudrait
plus m’engager.
Cette remarque, qui était le bon sens même, me prit sans
vert, et je restai bec cousu.
— Monsieur mon fils, dit mon père en reprenant courage,
le capitaine Hörner a raison deux fois, et pour lui et pour vous. Ne vous jetez
pas au-devant du danger si vous pouvez l’éviter. Vos ennemis étant ce qu’ils
sont – c’est-à-dire gens aussi implacables que leur haine est plus
imbécile –, vous aurez malheureusement d’autres occasions de prouver que vous
avez du cœur. Ne leur donnez pas la joie de vous voir succomber à la première
embûche.
— De reste, reprit Hörner, ici même, vous courez des
dangers. Et qui ne sont pas petits. Vous pouvez être pris à parti par un groupe
de fuyards qui seront bien aise, tombant sur des gens désarmés, de se revancher
de leur déconfiture en vidant leurs armes sur vous.
— Mais nous ne sommes pas désarmés, dit mon père. Nous
avons à nous quatre six pistolets et mon fils et moi nos deux épées, et
Monsieur Charpentier qui sait lancer le cotel.
— Ach was [39] ! Monsieur Charpentier !
dit Hörner, en envisageant le secrétaire du cardinal pour la première fois avec
intérêt, vous lancez le cotel ? Pouvez-vous m’en faire la
démonstration ?
— Bien volontiers, Capitaine, dit Charpentier.
Et sortant un couteau assez long de l’emmanchure de son
pourpoint, il le saisit par la pointe, pivota sur ses talons avec une
émerveillable promptitude et lança son arme, laquelle siffla dans l’air et alla
se ficher en vibrant dans le tronc d’un petit tremble qui s’élevait à quatre
bonnes toises derrière lui.
Cet exploit me laissa béant et Hörner, hochant la tête, dit
avec le dernier sérieux :
— Monsieur Charpentier, ayant ce talent-là, vous seriez
dans une troupe un inestimable atout et si un jour vous vous trouvez
désemployé, je vous prendrai volontiers dans la mienne…
Mon père et moi faillîmes sourire à cette proposition, mais
Charpentier, conservant toute sa
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