Le Lys Et La Pourpre
étonnement.
— Ces jeunes gens sont si romanesques ! dit-il
enfin avec un soupir. On dirait une intrigue de la Renaissance italienne…
— Mais le « personnage » est à demi italien [44] , dit mon père. Et d’après ce que
j’ai ouï dire, il s’en targue.
— Ce n’est pourtant pas lui qui a eu cette idée, dit
Bazainville.
— Et qui d’autre ? dit vivement Richelieu.
— Deux frères qui, par le sang, sont très hauts dans le
royaume et, de tous, les plus acharnés contre vous, Éminence, et plus encore
contre le roi.
— Je vous entends, dit Richelieu. Charpentier, mandez à
Desbournais qu’il dise aux Suisses de ramener le prisonnier dans ses quartiers.
Recommandez-lui de le bien nourrir d’ores en avant. Il est précieux.
*
* *
— Monsieur, un mot, de grâce !
— Belle lectrice, avez-vous affaire à moi ?
— Davantage, assurément, que vous n’avez affaire à
votre humble servante ! Voilà bien cent pages que, disparaissant au profit
du lecteur, je ne suis plus apparue en vos Mémoires. Comte, qu’est-ce à
dire ? Suis-je tombée en disgrâce ? Vais-je être reléguée dans les
faubourgs de votre bon plaisir ? Avez-vous oublié nos petits a parte ?
Vous étiez avec moi si charmant ! Et j’étais avec vous si
taquinante ! Qu’est devenue notre aimable complicité ?
— Madame, allais-je vous appeler au milieu des horreurs
de cette embûche ?
— Mais vous l’avez fait déjà et j’ai tout
supporté ! Monsieur, ne vous dérobez pas derrière de fausses excuses. La
vérité c’est qu’au contact de votre cardinal, vous avez fini par attraper la
fièvre de sa misogynie. Et comme lui, maintenant, vous considérez notre aimable
sexe comme une collection d’« étranges animaux ».
— Mais, Madame, le cardinal n’est misogyne que
politiquement. Il abhorre le cercle des vertugadins diaboliques parce qu’il
fait beaucoup de mal à l’État. Mais, en son privé, il aime fort Marie, la femme
de son conseiller Bouthillier, et il est tout raffolé de sa nièce.
— Monsieur, allez-vous me dire que deux Angéliques
entourent ce Séraphin vêtu de pourpre ?
— Mais pas du tout, Madame ! Richelieu est un
prêtre chaste ! J’oserais même affirmer qu’il est, à tous points de vue, sacerdos
impeccabilis [45] !
— Tant mieux ! Je suis fort soulagée d’ouïr qu’il
n’a pas, lui aussi, une Louison en province et une Jeannette en Paris.
— Madame, laissons cela, s’il vous plaît ! Vous ne
m’avez pas interpellé, j’imagine, pour dauber sur mes garcelettes ?
— Non, Monsieur, j’avais à vous poser des questions
plus sérieuses.
— Je vous ois.
— Quels sont ces deux frères qui, par le sang, sont
très hauts dans le royaume et qui ont persuadé Monsieur de tendre au cardinal
ce peu ragoûtant guet-apens ?
— Le duc de Vendôme et son cadet, le grand prieur de
France.
— Qu’est cela ? Un grand prieur, conseiller un
assassinat ?
— Oh Madame ! Ce titre n’a rien de
religieux ! On le donne coutumièrement à un bâtard royal en même temps que
de très beaux bénéfices pour lui permettre de vivre. Le duc et le grand prieur
furent le fruit des amours d’Henri IV avec la belle Gabrielle d’Estrées.
Par malheur, le duc nourrit, en son étroite cervelle, d’extravagantes
prétentions. Il voudrait être le maître absolu de la Bretagne dont il n’est
meshui que le gouverneur, et son but ultime est de devenir roi.
— Roi ? Il ne faille pas en audace !
— Mais en mérangeoises, Madame. Oyez cette
énormité ! Il se tient pour le roi véritable et Louis pour un usurpateur.
Il argue qu’il a sept ans de plus que Louis et qu’il est donc l’aîné et il
rappelle sans cesse que son père, Henri IV, avait signé à Gabrielle
d’Estrées une promesse de mariage. Mais la mort de Gabrielle en 1599 et le
mariage d’Henri IV avec Marie de Médicis en 1600 enlèvent, bien entendu,
toute espèce de valeur à ce papier. Vendôme n’en a cure. Il s’est révolté déjà
en 1614 contre Louis et après qu’il se fut venu excuser auprès de Sa Majesté à
Nantes, Louis, qui avait à peine treize ans, lui fit, avec froideur, une
réponse véritablement royale. Oyez-la : « Monsieur, lui dit-il,
servez-moi mieux à l’avenir que vous ne l’avez fait par le passé et sachez que
le plus grand honneur que vous ayez au monde, c’est d’être mon frère. »
— Et il lui a ensuite
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