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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’or.
    Bien que le cardinal, qui écoutait Charpentier, ne bougeât
pas davantage que son animal favori, je sentais bien que le repos n’avait, dans
son cas, rien à faire avec celui de son chat et que derrière cette impassible
face, les mérangeoises de sa cervelle déployaient, comme toujours, leur
inlassable activité.
    C’est peu de dire que la physionomie singulière de Richelieu
retenait l’attention. Elle fascinait. Dans son visage triangulaire qu’une
courte barbe en pointe effilait encore, brillaient de très beaux yeux noirs qui
pouvaient être doux et caressants, ou se charger de larmes, ou étinceler de
fureur contenue, ou peu contenue, selon les cas. Mais ce qui frappait de prime
et me frappait toujours quand j’avais été quelque temps sans le voir, c’était
l’extrême netteté de son apparence.
    Dans un royaume dont les sujets étaient devenus malpropres,
depuis que l’Église avait imposé la suppression des étuves, Richelieu se lavait
tous les jours de la tête aux pieds, ce qui le faisait dauber par les gens de
cour qui cachaient souvent beaucoup de crasse sous la soie et les perles. Il
coupait et limait ses ongles avec le plus grand soin, se lavait souvent les
mains (pratique dont la reine Margot disait, on s’en souvient, qu’elle avait
horreur), se faisait raser quotidiennement les contours de sa barbe et de sa
fine moustache, portait des soutanes immaculées et des cols d’une blancheur
éclatante.
    La taille élancée, le mouvement souple, le geste gracieux,
il aimait le beau, le raffinement du luxe et le faste des fêtes. Il en donnait
de magnifiques et il en eût donné davantage, si son acharné labeur lui en avait
laissé le temps.
    Au rebours de celui du père Joseph, son cabinet était un
modèle d’ordre. Sur sa grande table polie régnait une discipline que le chat
lui-même respectait, les dossiers étant rangés en piles méticuleuses, pas une
page ne passant l’autre, et l’éclairant à dextre et à senestre, se dressaient
deux chandeliers dorés dont chacun portait non, il va sans dire, des
chandelles, mais des bougies parfumées.
    Quand Charpentier eut terminé, Richelieu s’adressa de prime
au marquis de Siorac et fit, en peu de mots, l’éloge des grandissimes services
qu’il avait rendus à Henri III et Henri IV. Et il le fit avec une
miraculeuse précision des faits et des dates et avec des façons de dire si
élégantes qu’elles ravirent mon père. « On aurait pensé, me dit-il plus
tard, qu’il savait tout de moi et, mieux encore, qu’il connaissait mieux que
moi une époque en laquelle il n’était pas encore de ce monde. » Bien que
mon père fut fort maître de son visage, j’entendis à quel point, en quelques
minutes, il était tombé sous le charme.
    La scène m’ébaudit et me toucha tout ensemble. Le cardinal
aimait séduire, et point uniquement par politique, pour conquérir des amis et
des appuis. Bien qu’il fût capable de se montrer, vis-à-vis des ennemis des
l’État, d’une sévérité implacable, il n’avait pas le cœur insensible, bien le
rebours : il pleurait la mort d’un parent, d’un ami ou même du dernier de
ses serviteurs. En outre, il aimait qu’on l’aimât. Et ce sentiment sincère
transparaissait dans son éloquence et, au moins autant que ses raisons, la
rendait persuasive.
    Avec moi, bien que tout aussi élogieux, le cardinal fût plus
bref. Il n’avait pas à se donner tant de mal : j’étais déjà conquis.
    Cependant, bien qu’il ne prononçât que deux phrases, elles
se gravèrent dans mon esprit. Il me fit observer de prime que la cabale n’eût
pu me rendre un plus grand hommage que de me prendre pour la première de ses
cibles, puisque ce choix me désignait comme un des plus indéfectibles
serviteurs de Sa Majesté. Faisant ensuite allusion aux libelles fielleux que
les ennemis du royaume répandaient sur son compte, il dit avec un sourire que
ces folliculaires suivaient en sens inverse le chemin vertueux parcouru par
Charpentier, son secrétaire et son ami : Charpentier était passé du
couteau à la plume. Ces malheureux passaient, meshui, de la plume au couteau.
    Comme le lecteur n’a pas failli de l’observer, Charpentier
eut donc droit, lui aussi, à une bonne parole, enveloppée dans une petite
gausserie bien dans le style du cardinal, lequel incluait aussi bien la boutade
que la formule majestueuse.
    — Charpentier, dit-il, voulez-vous dire à Desbournais
de prier le

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