Le Lys Et La Pourpre
pour entrer au Paradis.
J’étais à son égard en proie à des sentiments si divers et
si contradictoires que je ne savais que penser et encore moins que dire. Je
pris le parti de la débarrasser de son chandelier qui, en vertu de son poids,
vacillait quelque peu dans ses mains et sans dire ni mot ni miette, je
m’effaçai devant elle. Elle pénétra incontinent dans ma chambre, les yeux
baissés, mais le pas résolu. Je fermai l’huis derrière elle et je poussai le
verrou, lequel étant quelque peu rouillé fit un bruit menaçant sans que Madame
de Candisse marquât le moindre émeuvement de se trouver ainsi, à la minuit,
enfermée avec moi. Bien le rebours, elle marcha droit vers les courtines et
tandis que j’allais porter le chandelier sur une petite table de chevet, elle
s’agenouilla au pied du lit, les yeux levés vers le crucifix fixé au mur à
l’intérieur du baldaquin.
— Monsieur, dit-elle d’une voix douce qui ne tremblait
pas le moindre, plaise à vous de me venir rejoindre.
Je fus quelque temps avant de m’y résoudre, étant cloué au
sol par l’admiration que me donnait sa beauté. Mais, comme à cette admiration,
le lieu, l’heure, le silence, et jusqu’au verrou qui nous retranchait du monde,
mêlaient un sentiment trouble que je connaissais bien, je ressentais non sans
malaise ce que la situation pouvait porter en soi de disconvenable et peut-être
même de sacrilégieux.
Mais cette situation, était-ce moi qui l’avais créée ?
Et que signifiait, pour Madame de Candisse, qui ne me connaissait que depuis
quelques heures, cette étrange prière à deux, à minuit, à huis clos, non dans
son oratoire où elle eût pu tout aussi bien m’inviter, mais dans ma chambre, au
pied de mon lit, et dans sa camisole de nuit ? Je l’y rejoignis, enfin,
m’agenouillai à ses côtés et faisant le signe de la croix, commençai un pater à voix basse.
— Monsieur, pardonnez-moi, dit-elle en se penchant vers
moi à me toucher, ce n’est pas prier Dieu que de prier chacun pour soi. Nous
devons joindre nos voix afin que nos âmes s’unissent.
— Eh bien, faisons ainsi, dis-je plutôt rudement, ce jargon
mystique commençant à m’impatienter pour la raison que je ne lui trouvais rien
de réel.
Je n’étais pas non plus bien assuré que l’âme de Madame de
Candisse fut de celles que j’eusse désiré de plein gré unir à la mienne. Et je
commençai alors à regretter de me trouver là avec elle, ou plutôt de la trouver
là avec moi et je soupçonnais ce dont j’eusse dû m’aviser de prime : que
ce n’était pas ma courtoisie de gentilhomme, mais son émerveillable beauté qui
m’avait conduit à accepter de m’engager avec elle dans une situation que je ne
commandais pas et dont elle seule savait où elle menait.
— Eh bien, je vous donne le « la », dit-elle
sans paraître remarquer ma rudesse.
Et elle commença à mi-voix un pater, ma voix se joignant
à la sienne. Ces oraisons me parurent durer un temps infini et jamais, je dois
l’avouer, je n’ai si mal prié, la pensée de Dieu étant si peu présente dans mon
esprit, lequel était plongé en pleine confusion, étant très peu dégagé de la
servitude des sens et en même temps fort récriminant contre Madame de Candisse
qui m’avait capturé et réduit à lui obéir par les hameçons de sa séduction.
Belle lectrice, vous allez dire sans doute que je pouvais mettre fin à cette
oraison à deux voix dès lors que je l’aurais résolu. Mais non, je ne le pouvais
point ! Madame de Candisse était si belle ! Et elle était si proche
de moi ! Tout m’ensorcelait : son parfum, sa camisole de nuit, ses
yeux, ses longs cheveux, sa voix et jusqu’au bruit léger de sa respiration quand
elle reprenait souffle.
Bien savait-elle, la chattemite, qu’elle menait en fait le
jeu. Et, en effet, elle l’arrêta, quand elle le voulut.
— Monsieur, dit-elle, c’est assez, nous avons assez
prié. Je vais vous laisser reposer. Vous devez être fatigué, vous avez voyagé
dès la pique du jour.
Il était temps qu’elle s’avisât que j’étais fatigué !
Que n’y avait-elle pensé plus tôt dans l’« excellence de sa charité »
au lieu d’empiéter sur mon sommeil et de me livrer aux délices et aux tortures
de la tentation.
— Monsieur, permettez-moi, poursuivit-elle en allant
s’asseoir sur une des deux chaires à bras qui se faisaient face devant la
cheminée.
Et en me désignant l’autre
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