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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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se
retourner contre le cardinal, et même contre le roi.
    — Que ferez-vous s’il vous avertit d’un projet
criminel ?
    — Je courrai aussitôt le dire au roi. Et vous-même, où
courez-vous si vite présentement ?
    — Le cardinal regagne Fleury en Bière.
    — Ces va-et-vient entre Fleury et Fontainebleau ne le
fatiguent pas ?
    — Tout le rebours, dit Charpentier. Il dort en carrosse
et le chemin n’est pas long. Le roi chassant le matin, le cardinal ne vient à
Fontainebleau que dans l’après-dînée, traite ses affaires avec le roi et s’en
retourne à Fleury pour le souper.
    — Est-il accompagné ?
    — Oui.
    — Fortement ?
    — Non. Une dizaine de gardes royaux.
    Je soupirai.
    — Si je m’étais contenté, sur le chemin de Paris à
Fleury, d’une dizaine de Suisses, je ne serais plus céans pour vous parler.
    — Le cardinal dit que lorsqu’on a une garde, on peut
dire « adieu » à la liberté.
    — Mais quand on s’en passe, on peut tout aussi bien
dire « adieu » à la vie. Pourquoi le cardinal ne demeure-t-il pas
continûment à Fontainebleau ?
    — Il ne supporte pas la presse et la noise. Il y
étouffe.
    — Il y a, en effet, de quoi étouffer. D’un autre côté,
ces va-et-vient quotidiens ne me disent rien qui vaille. Voulez-vous dire au
cardinal, avec tout le respect du monde, que cela me soucie pour lui ?
    — Vous ne serez pas le premier, dit Charpentier avec un
soupir. Monsieur de Schomberg le lui a déjà dit et même répété, mais pour le
moment, rien n’y fait.
    — Le cardinal, dis-je avec feu, se croit en sûreté
parce que Fleury en Bière est si proche de Fontainebleau et des six cents
soldats qui gardent Sa Majesté. Mais surtout, il pense, ayant tant d’esprit
lui-même, que jamais un homme sensé ne songerait à l’attaquer dans ces
conditions. Or, cette clique n’est composée que de fols. Si vous deviez creuser
toutes ces cervelles mises à tas, vous n’y trouveriez pas un atome de sens
commun. C’est en cela, précisément, que ces gens sont dangereux. Ce que peut imaginer
un fol dans ses folles mérangeoises, personne ne le peut prévoir. Monsieur
Charpentier, voyez-vous pas cette bague ornée d’un gros rubis que je porte à
l’auriculaire de ma main gauche ? Si un de mes mousquetaires arrive à
brides avalées, vous mande et vous montre cette bague, cela vous dira qu’il y a
vipère sous roche et que le cardinal ne doit pas bouger de l’enceinte du
château jusqu’à l’arrivée de Schomberg. De mon côté, je serai fort occupé à
trouver le roi, surtout s’il est à la chasse, pour l’avertir de ce nouveau
danger.
    Lecteur, tu dois trouver quelque peu romanesque l’emploi
d’une bague en ce prédicament. Nenni, le procédé, je t’assure, est banal et
coutumier en ces sortes d’affaires. Et en voici la raison. Le chevaucheur
porteur d’un message secret peut être intercepté et fouillé. En ce cas, si vous
avez eu l’imprudence d’écrire un billet, on le trouvera sur lui. Et dès qu’il
sera décacheté, il dira tout. Et s’il est chiffré, il sera déchiffré. Un
anneau, garni ou non d’une pierre, n’est pas si bavard. Le message qu’il
transmet est muet pour celui-là même qui le porte. Il ne parle qu’au
destinataire. Et voici, si tu me permets, lecteur, un exemple fameux de cette
adamantine discrétion. Après qu’Henri III eut fait dépêcher le duc de
Guise à Blois par huit de ses Quarante-Cinq, il ôta du cadavre une bague que
son cousin de Navarre connaissait bien. Le bijou, en effet, appartenait à la
reine Margot, mais du temps où elle coqueliquait avec le duc de Guise, elle le
lui avait baillé. Que pouvait penser Henri de Navarre de cette bague que mon
père, après un périlleux voyage, lui remit, sinon que le duc était mort
puisqu’il allait sans dire qu’on ne la lui aurait pas retirée du doigt de son
vivant ; que la Ligue, en conséquence, était très affaiblie par sa
disparition ; et que le roi de France recherchait ouvertement l’alliance
du roi de Navarre pour en finir avec elle.
    Tandis que Charpentier s’éloignait, emportant en sa
remembrance l’image de mon rubis, j’écoutai ses pas décroître dans l’escalier
de bois de l’auberge. J’allai déclore ma fenêtre et, me penchant, c’est à peine
si j’eus le temps de le voir s’engouffrer dans le carrosse, lequel s’ébranla
aussitôt, précédé et suivi par une dizaine de gardes royaux. Vous m’avez

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