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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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son lit.
    — Monsieur de Clérac, dis-je en riant, vous allez
m’épouvanter ! Je vais voir des poignards partout ! Cependant, n’ayez
crainte. Je ne vous rendrai pas la tâche difficile. Je serai aussi prudent que
je peux l’être. Trop de choses en dépendent, et point seulement ma vie.
    L’huis reclos sur Monsieur de Clérac, je poussai cette fois
le verrou derrière lui et m’allai recoucher, hésitant entre la rêverie et la
rêvasserie. Par rêverie, j’entends une réflexion bien conduite et par
rêvasserie, une sorte d’abandon à des imaginations vagues et changeantes, la
première étant à coup sûr utile à traiter les problèmes de la vie et la seconde
à remédier aux soucis que ces problèmes vous donnent.
    Sur le coup de dix heures et demie, on toqua à ma porte et
la voix de Clérac dit :
    — Monsieur le Comte, plaise à vous d’ouvrir. C’est
l’alberguière qui vient dresser la table du dîner.
    Je cachai mes pistolets sous mon oreiller et allai ouvrir.
Comme s’il eût été le maggiordomo, Monsieur de Clérac entra le premier,
suivi d’un valet portant deux tréteaux sur lesquels il posa un plateau,
recouvert aussitôt d’une nappe par la petitime, laquelle venait d’entrer à sa
suite. Vinrent ensuite son mari et une chambrière, fort chargés de vaisselle.
    La petitime jappait des ordres brefs qui étaient promptement
obéis par tous, y compris par son monstre velu, et quasi en tremblant par la
chambrière qu’elle appelait Cathau. C’était une blonde garcelette et à l’œil
qu’elle jeta plus tard à Chalais, quand il entra dans ma chambre, j’entendis
qu’elle était celle-là même qui avait subi depuis le matin ses infatigables
assauts.
    Je passe sur les embrassements et les étouffades dont je fus
tour à tour l’agent et le patient. Chalais était magnifiquement vêtu, bouclé,
parfumé et, pour dire le vrai, il respirait la santé, la vigueur, la jeunesse
et aussi une complaisance de soi que je n’ai vue qu’à lui. Je me gardai bien
d’entrer avec lui dans le vif du sujet tant que la petitime et son mari
entrèrent et sortirent de ma chambre pour y servir et desservir le repas,
lequel était fort bon, mais auquel je touchai fort peu, pas plus qu’au vin,
voulant garder la tête claire.
    Toutefois, je n’eus pas à me mettre en frais. Chalais
parlait d’abondance, étant de ces sortes de gens qui babillent infiniment de
soi et vous réduisent à n’être qu’une paire d’oreilles infiniment fatiguées.
D’autant que ce qu’il contait me ragoûtait fort peu : de prime ses
exploits toute la matinée avec Cathau qu’il me narra sans vergogne aucune par
le menu, alors même que l’intéressée nous servait ; et ensuite un duel
dont il avait été le héros, ayant eu la joie de passer sa lame au travers du corps
de son adversaire, et ayant éprouvé, m’assura-t-il, une satisfaction
supplémentaire à voir que ses deux témoins avaient aussi dépêché les témoins
adverses. Mais de ceux-là, il regrettait de ne pouvoir me dire les noms :
il ne les connaissait pas, ne les ayant jamais encontrés jusqu’au jour du duel.
Puis il revint sur ses exploits avec Cathau dont l’intérêt, si bien j’entendais
son propos, provenait du fait que lorsqu’on la tuait, elle ne mourait pas et
pouvait donc être tuée à nouveau, le nombre de mises à mort étant, pour
Chalais, la preuve de sa valeur. Il disait tout cela sans envisager le moins du
monde la pauvre Cathau qui nous servait les plats : on eût dit qu’il
s’agissait d’une autre personne que celle de son récit.
    Enfin, le repas se termina et nous fûmes débarrassés de tous
les impedimenta du dîner ainsi que de ceux qui nous servaient. La
petitime disparut la dernière, bien déçue, me sembla-t-il, car elle n’avait
ramassé rien qui valût sur le marché des ragots, et au surplus, elle se doutait
bien que, l’huis refermé sur elle, ma serrure lui serait inaccessible en raison
de la présence sur le palier d’un mousquetaire qui, carré dans une chaire à
bras et la pipe au bec, pétunait.
    Quant à Chalais, si peu attentif qu’il fût à ce qui se
passait dans la cervelle de son interlocuteur, il finit par sentir, ne
serait-ce que par mes silences mêmes, que j’avais quelque chose à lui dire et,
ô miracle ! il se tut. Et moi, maintenant, j’hésitais, pris de vergogne,
me demandant comment j’allais avoir le front de lui suggérer de se déshonorer
en trahissant ses amis

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