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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pour moi.
    Aussi quels ne furent pas, dans la suite de cet entretien,
ma stupéfaction et aussi mon soulagement, quand je constatai, aux premières
approches tâtonnantes et voilées que je lui fis, que trahir ses amis ne posait
pas à Chalais le moindre problème. Je fus un moment à me dire que j’avais
devant moi le plus grand cynique de la création, mais non, lecteur, même
pas ! Ce n’était chez Chalais qu’étourderie, inconscience, légèreté
incurable…
    Quand j’eus bien entendu cela, je changeai de discours et
parlai à la franche marguerite.
    — Mon ami, dis-je, observez, de grâce, que la reine est
de nouveau enceinte. Et si elle porte son fruit à terme et que ce soit un
garçon, quelle importance aura le mariage de Monsieur ? Et quelle
importance aura Monsieur lui-même, quand un dauphin sera là ? Il ne sera
plus l’héritier présomptif. D’un autre côté, spéculer sur la mort de Louis ou,
pis, sur son assassinat, c’est sottise incommensurable. Il faut que le roi,
malgré ses malaises, ait un fond solide de santé pour chasser, comme il fait,
plusieurs heures par jour. Quant au régicide, outre que celui qui l’accomplit
n’en récolte presque jamais les fruits, il est en l’espèce peu probable :
Louis est si méfiant, si précautionneux et si fortement entouré. Savez-vous
qu’il ne mange jamais rien qui n’ait été goûté avant lui ? Qu’en certaines
occasions, il porte une cotte de mailles sous son pourpoint ? Que cent
yeux veillent sur lui à toute heure du jour et que cent oreilles la nuit
veillent sur son sommeil ?
    Ici, pour les besoins de la cause, j’en rajoutai quelque
peu. Il est vrai qu’ayant sans cesse devant les yeux l’image de son père
ensanglanté par le couteau de Ravaillac, Louis se gardait fort bien. Mais pas
autant que je venais de le dire, mes exagérations ayant pour but d’imprimer
dans la cervelle de Chalais une image telle et si forte de l’inviolabilité du
roi qu’il ne fût pas tenté d’y porter atteinte. Car étant donné sa charge de
grand maître de la garde-robe, Chalais avait, comme j’ai dit, l’occasion de
s’approcher de Louis quotidiennement et quasi à toute heure et il était aussi
le genre de tête folle, crédule et influençable à qui de féroces intrigants
pouvaient insuffler peu à peu l’idée d’un meurtre pour peu qu’il espérât y
trouver l’avancement dont rêvait sa puérile et frénétique ambition.
    — En vérité, quiconque miserait sur Monsieur,
repris-je, prendrait une gageure très aléatoire et pourrait bien être amèrement
déçu. Le roi est là ! Il est bien là ! Et quelque avancement qu’on
désire, il ne se fera que par lui et sans attendre les calendes grecques… Or,
Louis vous a su le plus grand gré d’avoir apporté au cardinal le renseignement
qui lui a permis d’échapper au mortel attentement de Fleury en Bière. Il craint
que cet attentement ne se renouvelle, et je puis vous dire qu’il vous prendrait
en très grande faveur, si vous pouviez l’informer promptement par mon
intermédiaire de tout projet de même farine dont, à l’avenir, vous pourriez
avoir vent.
    — Comte, dit Chalais, il y a toutefois une difficulté.
    — De conscience ?
    — Nenni. Nenni. Mais je vous avouerais que je n’ai pas
laissé d’être quelque peu désappointé que le roi ne m’ait pas récompensé quand
j’ai dénoncé l’attentat de Fleury en Bière.
    Je n’en crus pas mes oreilles. Le poupelet avait la tête
bien confuse ! Comment n’arrivait-il pas à entendre que pour Louis le
Juste il était un traître repenti et qu’il n’y avait pas lieu de le récompenser
tout de gob de ce qu’il était rentré dans le devoir ? Cependant, j’avais
la parole du cardinal. Si Chalais persévérait dans sa résipiscence, une charge
lui serait donnée, s’ajoutant à celle de grand maître de la garde-robe.
    — Marquis, dis-je en posant ma main sur la sienne, en
politique il faut patience garder. Comment le roi pouvait-il vous récompenser
sans que cela vous discréditât aussitôt aux yeux de Monsieur ? Le roi, de
toute évidence, attendra que le mariage soit accompli et que le calme revienne
dans son État pour distribuer les sanctions : aux uns les titres, les
donations, les charges. Aux autres, l’exil, la prison, ou la mort.
    C’est par souci de symétrie verbale que j’ajoutai « la
mort ». Je ne pensais pas, à ce moment-là, que les choses pourraient aller
si loin.

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