Le Lys Et La Pourpre
serais tout prêt à obéir à votre ordre, si je savais
lequel. Mais obéir au petit bonheur à un commandement qu’on ne m’a pas donné
n’entraînerait pour moi que peu d’avantages.
— C’est ton dos que je vais avantager, faquin du
diable ! hurla Du Hallier.
Et ce disant, il tendait la main dans la direction d’un
fouet à cheval qui était pendu à la tête de son lit, quand je jugeai bon
d’intervenir.
— Monsieur de Noyan, dis-je en m’avançant, de façon à
m’interposer entre son maître et moi, il me semble pourtant qu’il y aurait pour
vous un grand avantage à ce que vous me montriez mon chemin dans la forêt de
Fontainebleau.
— Lequel, Monsieur le Comte ?
— Mon amitié.
— Monsieur le Comte, dit l’écuyer avec toutes les
apparences du respect et un sourire du coin de la bouche, vous êtes bien trop
haut pour que j’ose espérer jamais être votre ami. Vous m’oublierez demain.
— Détrompez-vous ! Ce qui est dit est dit !
Et voici un premier gage de mon amitié.
Là-dessus, je lui mis deux écus dans la main. Il en fut
comme béant, Du Hallier étant fort chiche-face et ne lui payant ses gages qu’un
mois sur deux et encore, en les rognant selon son humeur.
— Monsieur le Comte, dit-il en glissant mes écus dans
la poche intérieure de son pourpoint, je suis bon écuyer et j’obéis toujours,
fût-ce sans rien entendre, aux ordres de mon capitaine. Je cours seller mon
cheval.
— Rejoignez-moi à la grille du château. J’y serai dans
cinq minutes.
Il partit comme flèche, et Du Hallier, retombant sur son
lit, ou comme il lui plaisait de l’appeler, son « grabat », grogna en
son ire impuissante.
— Et voilà le fieffé insolent plus riche de deux
écus ! Et moi, cloué comme devant sur mon grabat ! Où est la justice
en ce monde ?
— Mais vous avez fait votre devoir envers le roi, mon
cher Du Hallier.
— Cela me fait une belle jambe, grogna-t-il en haussant
ses puissantes épaules, laquelle jambe, en plus, me douloit plus que jamais.
— Mon ami, si votre jambe ne vous doulait pas, c’est
vous qui auriez dû m’accompagner dans la forêt de Fontainebleau. Et n’est-ce
pas mieux pour vous que ce soit votre écuyer et sans qu’il en ait reçu
l’ordre ? Adieu ! Je vous reviendrai visiter cette affaire finie.
Dès que l’écuyer et moi nous fûmes au botte à botte dans la
forêt et trottant d’entrain, mais avec quelque circonspection, je lui dis, pour
tromper l’angoisse qui me tenaillait d’être fort mal reçu par le roi :
— Le capitaine du Hallier vous eût-il vraiment
fouetté ?
— Nenni ! Pas plus qu’il ne me donne, comme il
prétend, « de bonnes buffes et torchons ». Je suis noble et de bon
lieu, et mon père est fort de ses amis. Il ne voudrait pas l’offenser. Le
« fouet » est un langage. Il veut dire que je dois cesser mes petites
insolences, si je ne veux pas qu’il se fâche.
— Mais pourquoi le tabustez-vous comme je vous ai vu
faire ?
— Parce qu’il me tympanise par ses hurlades et ses
jurons ! Et cela me soulage de lui faire quelques petites piqûres qui ne
vont pas bien profond, vu qu’il a le cuir épais. Cependant, je ne le déteste
pas. Il serait même assez bon maître s’il n’était pas plus pleure-pain que pas
un fils de bonne mère en France. Ma fé ! Il tondrait un œuf !
À peine achevait-il qu’il brida tout soudain sa monture et
me dit :
— Oyez-vous point les abois des chiens ? Là !
ajouta-t-il en pointant son doigt vers l’ouest.
— Non, dis-je après avoir dressé l’oreille.
— Monsieur le Comte, dit-il en se tournant sur sa selle
pour m’envisager, on dit que vous n’êtes pas chasseur. Est-ce vrai ?
— C’est vrai.
— Et comment le roi le prend-il ?
— Assez mal.
L’écuyer me regarda alors avec un étonnement qui cachait
difficilement sa désapprobation.
— Monsieur le Comte, vous passez pour un cavalier
accompli, un bretteur redoutable et un excellent danseur ! D’où vient donc
cette aversion pour les battues en forêt ?
— Je ne sais, dis-je.
Et entendant bien que ce « je ne sais » ne le
pouvait satisfaire, je lui fournis cette sorte d’explication que l’on fournit
aux gens à qui l’on n’en veut point donner.
— Il se peut que le désamour de la chasse soit une
sorte de maladie qui court dans ma famille. Cependant, j’ai chassé les loups
dans mon comté d’Orbieu.
Ces loups, dont je
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